The final countdown

On a beau faire les malins et saouler nos proches avec nos photos Instagram tellement saines et propres qu’elles sont dignes de publicités pour les yaourts, on a tous un problème avec un produit, un comportement. On se retrouve ainsi avec les addictions qu’on mérite, et qui peuvent prendre différents visages : la coke, le sexe, la clope, la weed, les graines de chia germées dans du lait de châtaigne. On les consomme pour se sentir toujours “plus”. Plus rapide, plus fort, plus performant, plus sexy, plus relax, plus propre, comme si notre état normal ne pouvait pas suffire. Comme sil fallait toujours surpasser les états de bien-être qu’on peut traverser pour atteindre un nouvel étage de plénitude.

Si cela commence toujours gentiment, ces dépendances finissent toujours par prendre beaucoup de place, trop, dans l’espace d’une vie. De simple consommateur on finit accro, attaché à une substance ou une façon de voir le monde. On se transforme, on devient progressivement un monstre. Le corps se déforme, devient extra-ordinaire, caverneux ou marqué, les pupilles sont dilatées à ne plus savoir qu’en faire. On finit par porter sa dépendance sur le visage, elle hurle par tous les pores de la peau, et personne n’est à l’abri.

C’est ainsi que, pour la faire courte, Elvis Presley est mort aux cabinets. J’utilise le terme “cabinets” parce que je pense que c’est le pire mot qui puisse exister pour définir les toilettes. Le King of Rock’n’roll, le mythe, la légende, le mec capable d’affoler le sexe opposé par ses coups de reins dans le vent, est décédé sur ses waters (deuxième pire mot pour définir les toilettes) le visage plaqué sur le sol de la salle de bains, à Graceland, d’une stupide crise cardiaque. Il avait 42 ans.

Bien sûr, pour mourir aussi jeune, on a accusé les médicaments qu’il prenait, un mélange de morphine, de Quaaludes, de Valium, de Codéine et de plein d’autres prescriptions étranges que seules peuvent prendre les célébrités. Comme les autres stars avant et après lui, ça ne pouvait être qu’eux les responsables, les médicaments, le mal-être, le statut de célébrité incomprise, comme tout le poids du génie : toujours difficile à porter. C’était la marque de la décadence, une des seules façons de mourir dans le métier, par le “trop”, un peu comme les centaines de strass collées à ces fichues combinaisons à cape moulant dorénavant les corps des sosies pétés.

Ce qui est moins connu, c’est que le Johnny Hallyday américain était devenu accro à autre chose, qu’on considère encore comme honteux. Le roi du Rock’n’roll, 18 mois avant sa mort, était devenu addict à la nourriture, capable de se taper un aller-retour Graceland/ Denver en jet privé avec ses amis pour aller manger un sandwich infernal, le Fool’s Gold Loaf (gentiment formé d’un pain entier découpé dans toute sa longueur et légèrement agrémenté d’un pot de beurre de cacahuètes, d’un pot de confiture, et de 500 grammes de bacon). Détestant manger avec un couteau et une fourchette, il était devenu un consommateur de junk food, capable de tout ingurgiter à partir du moment où la nourriture était coincée entre deux tranches de pain, et noyée dans du beurre (et oui, les sandwichs chez Elvis Presley se faisaient dorer dans le gras, normal, vous les mangez comment les vôtres ?)

C’est ainsi qu’à la fin de sa vie, alors qu’il pesait auparavant dans les 76 kilos, Presley approchait s’en s’affoler des 150, capable d’ingurgiter 100 000 calories par jour, alors que le commun des mortels se contente de 2000. Il lui fallait une journée pour ingurgiter ce que les autres mettent un mois à manger. On ne préfère pas raconter le processus de digestion. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Près d’Elvis Presley, le jour de sa mort, une présence inconnue et pesante, celle de ce sandwich devenu culte. Celui qu’il aurait mangé alors qu’il était sur le trône, succombant bêtement dans sa salle de bains d’une crise cardiaque, le palpitant ne gérant pas forcément bien le mélange médicaments / nourriture grasse, mariage de déraison totale.

Ce sandwich, ce nouveau partenaire, était finalement à l’image de Presley. Comme Elvis devenu une caricature de lui-même, toujours plus loin dans le cliché du type Rock’n’roll à Vegas avec sa banane capillaire et ses pantalons qui rentrent dans les fesses, ce sandwich banane-bacon-beurre de cacahuètes était une parodie de nourriture. Une alimentation trop intense, bien bourrative, too much, qui sonne faux. Trop de gras, trop de mélanges ridicules, trop de décadence.

Un sandwich qui ne se rattrape dans aucun de ses ingrédients puisqu’il est réalisé avec du pain blanc, de la banane mûre tranchée et collée dans du beurre de cacahuètes, et agrémenté de tranches de bacon. Puis revenu de chaque côté dans du beurre. Toutes les saveurs, salées, sucrées, douces et croustillantes en un plat dont l’énoncé semble appeler à lui seul les archanges de la mort. Un suicide gustatif, un boucheur d’artères immédiat à ne pas faire chez soi. Même les professionnels ne tiennent pas. Elvis s’est fait trahir par son processus de digestion.

Finalement, et on le sait dorénavant en France aussi, avec le décès de notre doux Johnny, on a tous un talon d’achille, une faiblesse qui nous conduira à notre perte. Et quand on s’est échiné toute sa vie à écrire sa propre légende, qu’on a lancé un courant musical, rendu folle toute la population d’un pays, bref, qu’on a flirté constamment avec les étoiles, on est obligé de connaître une mort tellement lambda, à la fois nulle et consternante qu’on atteint ainsi une moyenne propre au commun des mortels. David Carradine avec son étouffement érotique peut le confirmer, ou Jimi Hendrix étouffé par son propre vomi. On peut peut-être écrire son destin, on ne choisit pas forcément la fin.

Vie + 10 000 points charisme, Mort – 10 000 : avec ce sandwich pété, Elvis a rejoint le commun des mortels. Bienvenue mec. Et n’hésite pas à prendre un petit cachet de citrate de bétaïne, ça fait toujours du bien.

Journaliste
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