Whole, teinture végétale
Tu as travaillé plusieurs années dans l’univers de la mode en tant qu’assistante d’une créatrice et en créant ta propre marque de prêt-à-porter femme. Comment en es-tu venue à créer Whole en te spécialisant dans la teinture végétale ?
J’ai toujours été très sensible à la dimension de la couleur dans la mode. Quand j’avais ma propre marque, j’ai rencontré un ingénieur textile avec lequel nous avons fait un projet de recherche autour de la couleur et de la teinture à base de déchets végétaux. C’est de cette recherche qu’est né Whole. En parallèle, je prenais conscience que le rythme effréné des collections et le gaspillage généré n’étaient plus compatibles, ni avec mes aspirations personnelles, ni avec les enjeux sociétaux.
La teinture végétale revient en force depuis peu. Depuis quand l’être humain utilise-t-il le pouvoir colorant des végétaux pour teindre ?
Depuis la préhistoire ! Les hommes préhistoriques utilisaient de l’ocre rouge pour dessiner sur les parois des cavernes et ils pratiquaient déjà de la teinture au bleu de pastel. La teinture végétale a été utilisée jusqu’à l’invention de la mauvéine en 1856, soit le premier colorant de synthèse qui a conduit à une production industrielle qui perdure de nos jours.
Avec quels types de végétaux peut-on teindre ?
Il est possible de teindre avec une gamme de végétaux très variée car ils contiennent naturellement des substances colorantes. Il peut s’agir de racines, de fleurs, d’écorces, de branchages, et même de petits insectes comme la cochenille, qui donne du carmin. Leur pouvoir colorant est plus ou moins puissant selon les variétés. Les plus emblématiques sont la garance pour le rouge, la gaude pour le jaune et les plantes à indigo pour le bleu. On peut évoquer aussi le bois de campêche, le noyer ou encore la noix de galle.
Quelle est la matière organique la plus inattendue avec laquelle tu aies teint ?
La peau d’avocat ! Au cours d’une phase d’expérimentation, j’ai fait des tests avec des fanes de carotte et des peaux d’avocat : j’ai été bluffée par le résultat ! Non seulement les couleurs étaient magnifiques mais il s’est avéré qu’elles étaient aussi très résistantes. J’ai obtenu de très beaux jaunes avec les fanes et de jolis roses avec l’avocat. Je les utilise régulièrement depuis cette découverte.
Quel est le modus operandi pour teindre des tissus ?
A partir d’un tissu clair – qu’il est nécessaire de laver, qu’il soit neuf ou non – on procède à la première étape qui est celle du “mordançage » : il s’agit de le faire bouillir avec du sel d’alun. Ce dernier permet à la substance colorante de se fixer aux fibres et de révéler une couleur lumineuse. Puis on fait bouillir le végétal sélectionné pour obtenir un bain de teinture – c’est l’étape de la « décoction » – dans lequel on plongera le tissu pour qu’il se teigne. On rince et on fait sécher. Chacune de ces deux étapes demande entre 20 minutes et une heure selon le résultat que l’on souhaite obtenir.
Whole signifie « Wastefree, Hand-dyed, Organic, Local, Eco-friendly ». À quoi souhaites-tu contribuer en exerçant ce savoir-faire artisanal ?
Il y a urgence à s’interroger sur le processus de production et de fabrication des textiles que l’on porte et que l’on utilise. Je fais au mieux pour inscrire mon mode de fabrication dans une démarche qui soit la plus vertueuse possible. Je travaille avec des producteurs français de lin et de laine pour réduire les déplacements du produit et contribuer à la sauvegarde de nos manufactures. Les confections et les tissages sont faits en région parisienne, je recycle mes bains, valorise les déchets, je n’utilise aucun emballage plastique, je travaille en bio… Whole est une philosophie et un art de vivre que j’applique aussi dans ma vie privée. C’est un tout.
Tu fais partie des 21 lauréats 2019 de la 3 e édition des “Parisculteurs”, une initiative de la Ville de Paris qui vise à végétaliser la capitale. Peux-tu nous parler de ton projet ?
L’idée est de transformer une friche de 300 m 2 dans le 13è arrondissement pour y cultiver des végétaux – plantes, arbres et arbustes – pour les transformer en colorants naturels dans un processus zerowaste : utiliser de l’eau de pluie pour faire les bains ; rejeter les bains dans le jardin pour enrichir les sols car ils contiennent encore des minéraux et nutriments ; composter les résidus. C’est amusant car la friche se situe au niveau de la Bièvre, l’ancienne rivière qui traversait les XIIIe et Ve arrondissements grâce à laquelle travaillaient des teinturiers parisiens.
« Teintures végétales », Editions Eyrolles
Pour plus d’informations : www.whole.fr