La Visite Imaginaire de Pauline Caupenne
Texte : Anouchka Crocqfer
Photos : Cédric Vasnier
Ils parlent fort, rient aux éclats, se mettent à courir d’une galerie à une autre et n’ont pas peur de troubler la quiétude des visiteurs présents ce matin dans l’enceinte du Musée Picasso à Paris. Bien au contraire. Un petit groupe les suit de près, les observe, les écoute, et ce dans un silence presque religieux que seuls les rires viennent rompre de temps à autre. Marinière sur les épaules, pinceau en main qu’il fait courir le long d’une toile signée Picasso, lui, c’est Étienne Launay, l’un des fidèles compagnons de jeu de Pauline Caupenne, la créatrice de cette visite guidée d’un autre genre. Dans les arrières salles du musée, entre les tables victimes du génie créatif de quelques enfants et affiches d’expositions, la comédienne nous conte la genèse de la Visite Imaginaire dont elle tient le rôle principal aux côtés de six autres acolytes depuis maintenant trois ans à travers divers musées de la capitale.Quel est le concept de la Visite Imaginaire ?
C’est une visite guidée pensée comme une ballade poétique menée par deux comédiens suivant la logique de commissariat des expositions. Chacune d’entre elles est ponctuée de jeux de rôles fictifs qui sont le fruit de la rencontre entre l’histoire de l’art, le théâtre, la poésie et la musique. La grande première a eu lieu ici avec Étienne lors de la rétrospective Picasso-Giacometti.
Pourquoi cette volonté de croiser les disciplines ?
En tant que comédiens, notre but est de transmettre et de susciter des émotions aux spectateurs. Lorsque l’on s’émeut, il est plus aisé de s’ouvrir face aux oeuvres et d’en saisir les clés. L’objectif premier de nos visites est de plonger le visiteur dans une esthétique complète. Picasso disait que la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, mais une arme de guerre pour transmettre des choses. En parlant fort, en riant, en mettant de la musique, on casse un peu les codes du musée qui reste un milieu assez bourgeois où l’on doit se tenir comme ci, chuchoter comme ça face aux oeuvres, une coupe de champagne à la main lors de vernissage parfois… Or la plupart des artistes étaient des bohémiens, vivaient dans des chambres de bonnes, criaient leur désespoir ou leur amour dans leurs créations.
Les scènettes sont-elles toujours inspirées de faits réels ?
Certaines partent de citations, d’autres de poèmes, ou encore d’événements liées aux oeuvres. L’idée étant de les replacer dans leur contexte, elles ne sont jamais complètements fictives. Au cours de l’exposition autour de Guernica, nous avions été jusqu’à reproduire une scène de vandalisme à l’encontre de la toile conservée à l’époque au MoMA de New York. Un homme avait tagué « Kill Lies All » à la bombe en protestation contre la guerre au Vietnam. Ce sont ces mêmes mots peints sur une banderole que je brandissaient d’un air menaçant après être arrivée entièrement cagoulée face aux visiteurs. Sans avoir à être dans l’explicatif nous souhaitons instruire en amusant.
Et ce en n’hésitant pas à vous attaquer aux grands classiques de la littérature…
Effectivement. Tout à l’heure nous mêlions quelques vers d’un poème de Guillaume Apollinaire à une chanson d’Yves Montand. Nous avions lu une lettre d’André Malraux adressée à Picasso, évoqué le mythe d’Orphée et d’Eurydice notamment repris par Jean Cocteau à l’écran… Tous ces artistes se fréquentaient, les travaux des uns ont inspiré ceux des autres.
Quels sont les autres musées dans lesquels sont proposées ces visites ?
Le Musée Gustave-Moreau, le Centre Pompidou, le Maison Balzac ainsi que l’Orangerie. Nous proposons également quelques visites imaginaires pour les enfants que l’on crée avec eux. À l’occasion d’événements comme les nuits blanches ou encore les journées du patrimoine, certains musées font appel à nous pour des performances spéciales également.
Parallèlement à cette activité, tu te produis également sur les planches actuellement…
Je joue dans deux pièces à succès. Adieu Monsieur Haffmann écrite et mise en scène par Jean-Philippe Daguerre qui a remporté quatre Molières, et Le dernier jour du jeûne, écrite et mise en scène par Simon Abkarian. J’ai beaucoup appris à leurs côtés.
Quel a été ton parcours ?
Après un passage au Cours Florent et une formation de danse, j’ai démarré ma carrière de façon peu conventionnelle en Inde à Bollywood. De retour en France, en parallèle de mes études d’histoire de l’art je suis entrée à l’école des Enfants Terribles avant de jouer aux côtés de diverses compagnies et de metteurs en scènes. L’art et la poésie m’animent depuis toujours, la Visite Imaginaire s’est donc imposée naturellement.
La Visite Imaginaire — www.visiteimaginaire.com