Qu’est-ce qui vous a amenés à tomber dans le café tous les deux?
J’ai commencé par être graphiste puis j’ai appris la pâtisserie à l’école d’Alain Ducasse et ai finalement intégré les cuisines du Fouquet’s. Il y a huit ans, j’ai appris la torréfaction à la Caféothèque de Paris et j’ai ensuite fait mes gammes chez Sweetleaf à New York avant de rentrer en France.
On évoluait tous les deux dans le monde de la restauration, on s’était tapé des fous rires et on s’était même engueulé
plusieurs fois. Notre réseau était solide. J’ai travaillé un moment dans le monde des spiritueux mais à l’époque, je travaillais au Beef Club avec la bande de l’Experimental Cocktail Club. C’était l’aventure et ça m’a appris tous les échelons du métier de restaurateur. Il y avait une vraie soif de briser les codes. Thomas, lui, torréfiait chez Le Grain (12è) et l’histoire touchait à sa fin. J’avais envie de changer de métier et on a discuté ensemble. On s’est dit: «On va torréfier du café mais si c’est juste un produit de plus sur le marché, ça ne suffira pas.» Il nous fallait une idée nouvelle.
Comment est né Beau de Panam’?
On savait que les cafés d’exception étaient livrés dans des boîtes en bois et pas dans des sacs en jute pour éviter la perte. Et il se trouve que le café absorbe les odeurs. Pourquoi on affine le fromage mais qu’on n’applique jamais ce principe au café ? En stockant les grains de café dans des fûts qui ont servi à transporter du vin ou du bourbon par exemple, on peut lui donner un goût unique. Donc on s’est dit qu’on allait affiner du café. On a fait les explorateurs. Il y avait déjà un autre critère fondamental. Si je prends du café rwandais et colombien et que je les mets dans le même hangar, l’un va prendre le goût de l’autre. On a donc décidé de travailler une seule origine par collection, au Brésil ou en Colombie. Un seul terroir.
L’autre pan important de votre label, c’est la saisonnalité…
Notre vision est extrêmement intégriste. Le café est une cerise, même si c’est cuit. Pourquoi, en France, le pays du terroir, de la saisonnalité, de la mode, personne n’a pensé à travailler le café comme un fruit? Certains grains supportent la chaleur, d’autres pas. On ne fait pas des frites avec tous les types de pommes de terre. Tout change suivant la saison de récolte, d’arrivage. On peut se permettre ces réglages quand on travaille un seul produit. Comme dans la mode, vous présentez chaque saison une collection composée de deux lignes: vous pouvez nous en dire plus?
Comme dans la mode, vous présentez chaque saison une collection composée de deux lignes: vous pouvez nous en dire plus?
On a une collection printemps/été et automne/hiver. Notre ligne classique est toujours affinée au Rivesaltes et suivant la saison, l’origine change. On veut un café qui soit doux avec un goût plutôt chocolaté parce que c’est ce qu’on aime et ça se marie bien avec le Rivesaltes. Ça rappelle les guinguettes parisiennes, et selon les récoltes, la tarte tatin ou le pain au raisin.
L’autre ligne s’appelle ‘Humeurs’ et elle correspond à des collaborations en série limitée, au gré de nos rencontres.
On a choisi de bosser avec le label Rainforest Alliance pour avoir un œil sur la tracabilité. C’est le label qui donne le plus de garanties quant au respect des gens et de l’environnement.
C’est à la suite d’une rencontre que vous avez souhaité affiner votre café au mezcal?
Non, dès le début de notre projet, il y a un an, on voulait le faire. Le mezcal donne un goût très végétal. Le côté fumé, puissant, disparaît totalement et les arômes cacao viennent accompagner le café. On a aussi rencontré la marque de Calvados 30&40 et on a eu envie de faire un affinage au Pommeau de Normandie. Ça apporte de l’acide et du fruité.
L’été dernier, on a sorti du café affiné au rhum plantation ananas. Il devait être servi en café filtre froid. Ça donnait un côté minéral, un côté ananas, sans l’alcool évidemment. À l’Hôtel des Grands Boulevards, ils l’ont utilisé pour faire un cocktail sans alcool avec du verjus, du sirop d’agave et de la menthe poivrée à siroter sur le toit-terrasse. On va sûrement recommencer cet été. On a aussi une gamme à l’umeshu – un alcool de prunes japonais, ndlr–qui est proposé presque exclusivement à la pâtisserie Tomo (2è).
Quelles sont les différentes étapes de la transformation de votre café de la cerise au grain?
Imagine une cerise verte qui devient rouge foncée au moment de la récolte. À l’intérieur tu as deux graines de café, c’est le noyau protégé par une fine membrane. D’ailleurs, cette peau se mange aussi, elle a un goût très prononcé et peut se boire en infusion. On enlève la chair et la peau de la cerise et on fait sécher les graines au soleil pour baisser le niveau d’humidité. Une autre méthode consiste à laver les cerises dans des cuves qui ressemblent à des machines à laver avant de les faire sécher. L’eau est ensuite impropre à la consommation.
C’est pour ça qu’on a choisi de bosser avec le label Rainforest Alliance: on a un œil sur la traçabilité. Ce label oblige les agriculteurs à traiter l’eau usagée et interdit l’usage de pesticides. En échange, ils reçoivent des aides financières. C’est le label qui donne le plus de garanties quant au respect des gens et de l’environnement. Ça regroupe commerce équitable et agriculture raisonnée. Certains producteurs reversent une partie de leur chiffre d’affaires à des écoles ou à la protection de la forêt.
Quelle est votre relation avec les producteurs ?
On travaille main dans la main avec un importateur qui partage notre philosophie. Il nous donne la date de la récolte et nous garantit que le fruit est de saison. Il y a un risque à travailler des produits de saison: selon les conditions météo, tout peut basculer. Parfois, il y a du retard et parfois de l’avance. L’agriculteur colombien avec qui on bosse est installé dans le nord de Medellin. Il a une toute petit parcelle alors que l’agriculteur brésilien qui nous fournit l’autre partie de l’année à une parcelle grande comme le 13è arrondissement.
Vous êtes amenés à voyager sur les plantations ?
Non, c’est la mission de notre importateur, il est tout le temps sur le terrain et accompagne les producteurs. Petit, j’ai eu la chance de visiter une plantation quand je vivais sur l’Île de la Réunion. J’ai visité plusieurs fois le Domaine du Caféier qui cultive du Bourbon pointu: ça m’a permis de comprendre comment on faisait le café. Même si, à l’époque, je voulais devenir ingénieur, c’est resté. À terme, l’idéal serait d’avoir une relation avec le producteur lui-même mais pour le moment,
chacun son métier.
Après le séchage, les grains de café sont triés à la main et vous sont envoyés dans des fûts. Puis vient l’étape de l’affinage et celle de la torréfaction : en quoi est-ce qu’elles consistent ?
L’affinage, c’est revenir aux sources du café, avec les moyens d’aujourd’hui. On envoie un fût de Rivesaltes en Amérique du sud, on vend le vin, on le remplit de café et après on le récupère. On s’est aperçu que c’est ce qui se faisait traditionnellement. Ça s’est arrêté parce que ça coûte plus cher et que ça demandait de la patience. On laisse en fût pendant un mois environ, selon la récolte. À chaque saison, on repart à zéro. Avec une même origine, on crée quelque chose de différent. On crée un goût. Pour le moment, on propose du café pour espresso ou pour filtre.
La torréfaction ressemble à de la pâtisserie: c’est la cuisson des grains. Je m’appuie d’ailleurs sur mes connaissances en la matière. Il faut vraiment faire attention parce que c’est très fragile. La température d’entrée et de sortie peut tout changer, à quelques degrés près. Mon boulot consiste à tirer les ficelles au cours de la cuisson pour respecter le produit et le travail de l’agriculteur. Avec la torréfaction, tu peux dénaturer son café et passer d’une acidité à un goût caramel tout en lui donnant plus de corps, de chocolat.
Vous n’avez pas d’atelier à vous et vous allez de torréfactions en torréfactions, pourquoi?
J.: Il y a beaucoup d’avantages à être nomade. Dans le monde de la bière, c’est assez courant d’essayer plusieurs brasseries avant de s’installer. À Copenhague, la brasserie Mikkeller a posé ses valises au bout de 10 ans. Nous, on a déjà testé quatre torréfactions en un an. Ça nous permet d’essayer le matériel et d’accroître notre réactivité. On pose notre roulotte dans un endroit où on se sent bien. Ici, il y a une petite cour, c’est pas grand mais on est presque chez nous. Le jour où on voudra s’installer, on saura ce dont on a envie.
C’est la torréfaction qui va donner une ‘patte’ à un café?
La torréfaction ne fait pas une grosse différence. Le déf, c’est que tout le monde ait le même résultat en tasse. Tu reconnaîtras le café Beau de Panam’ parce qu’avec le Rivesaltes, on a un côté sucré qui disparaît
d’habitude dans un espresso.
On donne beaucoup d’épaisseur à notre café, avec de la mousse. Il y a un effet lacté. Les baristas aiment bien parce quand ils ajoutent du lait ça donne quelque chose de très simple à travailler. Notre café a une vraie rondeur et pas d’amertume. Ça rappelle la saveur des éclairs au café. L’idée c’est que le café ne soit plus une dose qu’on prend par habitude.
Votre objectif principal est de fournir les restaurants: est-ce qu’ils ont été faciles à convaincre au début?
On a commencé par miser sur les amis. Notre tout premier client, c’était Dersou. J’ai écrit à Taku Sekine sur Instagram. Il m’a répondu en quelques secondes parce qu’il venait d’être planté sur une livraison de café. Il a tout de suite voulu m’acheter un kilo pour goûter. Il en avait besoin le soir même et les clients ont adoré. Peut-être qu’à un jour près, on aurait beaucoup plus galéré. Après, il a fallu se développer et convaincre chaque restaurant. On fait goûter et quand on nous dit que c’est pas bien chez untel, ça nous met la pression parce qu’on se dit que les mecs comparent. Souvent quand on livre à vélo, les chefs nous demandent d’aller voir d’autres restos intéressés.
Dans quels restaurants ou coffee shops peut-on goûter vos cafés?
Dans le 2è arrondissement, on est à la Maison du Saké, chez Gras Alcool Gluten et à la pâtisserie Tomo, dans le 3è chez Botanero et dans
le 5è chez Sola et Chinaski.
Comment en êtes-vous venus à vendre aussi aux particuliers?
On a commencé par vendre aux restos et par la force des choses, des clients en ont goûté et nous ont demandé d’en acheter. Deux de nos produits sont disponibles sur Culinaries, une boutique en ligne qui vend des produits artisanaux. Ils maîtrisent la vente aux particuliers et ce n’est pas notre métier.
Qu’il s’agisse de professionnels ou de particuliers, comment assurer le résultat en tasse?
Il faut faire attention à ne pas brûler le café avec de l’eau bouillante. Pour le thé, les gens le savent mais pour le café on ne fait pas attention.
La température idéale est 92/94°C.
Café bouillu, café foutu! Pour les restos, on choisit avec qui on travaille parce que le rendu dépend du café, de l’eau, de la machine et de la personne qui va le faire. Les baristas sont très bien formés mais on peut les conseiller sur les temps de préparation.
Comment voyez-vous l’avenir de Beau de Panam’?
Pour le moment, notre but c’est de nous développer, imaginer la gamme printemps/été et c’est déjà pas mal. Depuis janvier, les demandes augmentent. On a commandé plus de café cette saison pour avoir plus de clients et anticiper les futurs demandes. Les Italiens disent que le café doit être plaisir prolongé. Si jamais c’est agressif, acide et trop puissant, on va en prendre juste un. Aujourd’hui, les clients ont tendance à en commander plusieurs d’affilée. C’est notre grande fierté.