À qui s’adresse votre livre ?
Aux personnes qui ressentent l’envie de voyager et de voir le monde mais qui ont des doutes sur leur manière de faire. En mai dernier, les barcelonais manifestaient contre le tourisme de masse que subit la ville. Bien que le tourisme soit une force, il a entraîné une hausse du prix du loyer avec l’augmentation des locations touristique. En se renseignant sur la destination qu’on s’apprête à visiter, on peut se poser les bonnes questions en amont : « Est-ce que je devrais arrêter de réserver sur Airbnb ? Est-ce que je devrais éviter d’aller à Barcelone ? »
Il a quelques années se développait le principe de Woofing, est-ce que les jeunes voyagent différemment ?
Des études montrent en effet qu’ils cherchent à avoir un impact positif sur la destination, qu’il leur tient à coeur de passer plus de temps sur place pour contribuer à l’économie locale. Le Woofing est un parfait exemple, puisque cela permet de contribuer à l’économie locale sans percevoir le tourisme par un prisme exclusivement consumériste : « J’ai peu de temps, je veux amortir l’argent que j’ai investi. »
On voit de plus en plus de contenus viraux en ligne ce qui peut donner l’impression que les destinations sont des fonds verts interchangeables permettant surtout de servir son égo. Est-ce que les réseaux sociaux ont un rôle positif à jouer ?
En être conscient et se poser ces questions est un bon moyen de commencer à déconstruire ce rapport. Ai-je déjà voyagé comme ça ? Bien-sûr. Sur Instagram, c’est facile de devenir le centre de l’histoire. D’un côté c’est formidable car il y a beaucoup d’informations utiles, au XXIè siècle, il fallait être un homme blanc riche américain ou britannique pour avoir le privilège de voyager et d’en témoigner. Aujourd’hui, n’importe qu’elle personne munie d’un téléphone peut être le narrateur de sa propre aventure. Cependant les réseaux sociaux nous placent presque systématiquement au centre de l’histoire. Quand j’étais au Cambodge, j’ai fait un reel, au temple connu pour avoir été le lieu de tournage du film Lara Croft avant d’écrire un chapitre entier sur notre rapport aux réseaux sociaux. Le reel ne parlait que de moi, alors que mon guide m’a appris énormément de choses sur l’histoire de son pays, les challenges auxquels il fait face, à quoi ressemblait sa vie durant la guerre quand il était enfant… J’aurais pu partager quelque chose de profond plutôt que ce contenu superficiel. Bref, en clair je me moque de moi gentiment : les destinations ne sont pas des décors pour se mettre en avant. On fait tous des erreurs et on peut faire mieux la prochaine fois.
Quelle est la responsabilité des gouvernements ?
Ce qu’il se passe à Barcelone aujourd’hui est le résultat d’une forme d’ingérence passée. Les gouvernements ont la responsabilité de faire en sorte que le tourisme n’impacte pas négativement leur population. Il faut créer des infrastructures afin d’éviter les problèmes, certaines destinations cherchent activement à attirer les touristes et y travaillent dur, à l’instar de Los Angeles, San Francisco, Hong Kong, Liverpool, mais aussi Taïwan, le Vietnam et le Pérou.
Est-ce qu’un pays peut se retrouver dépassé par l’intérêt abrupte des touristes ?
Dans mon livre, je raconte l’impact du clip I’ll show you de Justin Bieber tourné en 2015 au Fjadrargljufur canyon sur une île privée, sauvage et reculée. Après la sortie de la vidéo, des gens ont commencé à visiter l’endroit en ajoutant la géolocalisation du site. En quelques mois, le lieu a été inondé par le tourisme avant d’être fermé en 2017. J’ai interviewé une des personnes en charge de la préservation de l’environnement qui me disait que la vitesse avec laquelle l’endroit a été promu sur les réseaux sociaux n’a pas permit au gouvernement de créer les bonnes infrastructures. Le gouvernement était complètement dépassé. Elle a ajouté que les gens se contentaient de venir pour prendre une photo sans s’intéresser à l’écosystème environnant. En termes de hausse de tourisme fulgurante, l’Islande est un bon exemple puisque le nombre de touristes a bondi de 459 000 en 2010 à 2,3 millions en 2018. Après la crise bancaire de 2008, le gouvernement s’est tourné vers le tourisme afin de raviver l’économie, la Première Dame Eliza Reid que j’ai pu interviewer m’a expliqué que c’est grâce au tourisme que le pays a pu rembourser sa dette.
La semaine dernière, un touriste américain de 65 ans vandalisait un torii (un portail traditionnel situé aux abords des temples shintoïstes, ndlr) dans le temple Meiji Jingu à Tokyo, en y gravant le nom d’un membre de sa famille et il y a quelques mois, c’est une influenceuse et gymnase qui filmait ses acrobaties sur un de ces portails afin de poster une vidéo sur Instagram. Ces comportements, perçus comme irrespectueux par les locaux, révèlent un manque de considération pour leur culture. Dans le premier chapitre de votre livre, vous soulignez également que le tourisme peut parfois avoir des aspects néocoloniaux, où les visiteurs imposent leurs valeurs sans tenir compte des traditions locales.
Bien-sûr, c’est aussi l’inconvénient des réseaux sociaux qui nous placent dans cette position lorsqu’on voyage. Certains contenus viraux concentrent ce que le tourisme a de pire, j’aborde notamment ce sujet dans le chapitre consacré à Hawaï qui charrie une iconographie et un pitch marketing mêlant hula girl sexualisée, colliers de Lei (réalisés à partir de fleurs tropicales, feuilles, coquillages ou noix de Kukui) et plages paradisiaques. Le sentiment des résidents à l’égard des touristes n’a fait que décliner, ces derniers se rendent compte du sacrifice que cela représente. Au sortir du confinement, seulement 36% de la population estimait que le retour des touristes était une bonne chose.
Finalement voyager n’est pas si simple lorsqu’on commence à réfléchir à tout cela…
C’est vrai, mais j’encourage les gens à faire cet effort qui rendra l’expérience plus gratifiante et mémorable. Plus on investit dans quelque chose et plus on en tire de la satisfaction. Intéressons-nous à la culture, prenons le temps de nous renseigner sur la destination, les challenges auxquels elle fait face. Je ne dis pas qu’il faut y passer des semaines, mais faire une recherche sur Google, lire un livre ou encore voir un film qui se tient dans une ville est un bon moyen de s’enthousiasmer. Voyager d’une bonne manière demande aussi de la vigilance, ce n’est pas parce qu’on est privilégié et qu’on peut s’offrir un billet d’avion qu’on est dispensé de modestie, d’empathie… Souvenons-nous que nous sommes des invités dans les pays que nous visitons.
Justement voyager en avion représente un coût écologique conséquent…
L’industrie travaille à réduire son impact écologique, d’ailleurs cette technologie existe déjà, mais les changements arrivent très lentement. À titre personnel, on pourrait aussi voyager moins souvent et partir plus longtemps.
En prenant en compte tout ce que cela comporte, est-ce qu’il est encore raisonnable de voyager ?
Notre monde est connecté qu’on le veuille ou non. Le dérèglement climatique, l’intelligence artificielle, la menace nucléaire ou les pandémies ignorent les frontières. C’est important de communier avec des gens qui n’ont pas la même culture que la nôtre pour comprendre le monde dans lequel on vit. Ne jamais quitter sa ville et rester hermétique à l’adversité ne va pas nous préparer à vivre dans le monde qui nous attend. Le tourisme est un moyen de faire des connections au delà des frontières c’est essentiel pour l’humanité. En restant chez soi, il y a peu de chances pour qu’on se prépare à l’avenir qui nous attend. Le but de mon livre est de mieux comprendre les implications de nos pérégrinations mais aussi d’inciter les gens à découvrir des choses par eux-même, le tourisme est une grande force dans la société et peut avoir un impact constructif sur le monde.
-> The New Tourist, Paige McClanahan, Editions Scribner, 30$US