En cuisine ça turbine
Un parfum « os à la mœlle », voilà qui a du chien. Maître en l’art d’associer des saveurs audacieuses, Henri Guittet, fondateur de Glazed, mettait le feu à nos palais avec ses glaces et ses sorbets que l’on s’enfilait pour se rafraîchir dans la chaleur moite des nuits d’été de festivals. À Rock en Seine, We Love Green, dans la rue, l’aventure de son adresse a démarré en 2012, à bord d’un camion identique à celui de Louis La Brocante. « Je réalisais mes premiers assemblages dans ma cuisine avec une bonne vieille sorbetière KitchenAid que je laissais refroidir ensuite dans mon congel’ pendant quatre heures », se remémore-t-il. Sorbet chocolat, wasabi, gingembre ; glace vanille de Madagascar, graines de chanvre bio ; sorbet orange, campari et vinaigre balsamique…
Nous voilà bien loin de l’époque où la cour d’Alexandre le Grand faisait installer des puits à neige dans lesquels étaient entreposés de véritables morceaux de glace venus de l’Etna ou des Alpes. Et comme touche gourmande étaient ajoutés aux coupes de ces dames et messieurs, miel et jus de fruits. L’ancêtre du kakigori en somme, le granité japonais aux couleurs de l’arc en ciel.
Paris, palais des glaces
« La glace a longtemps été le parent pauvre de la gastronomie. Historiquement la formation de glacier a été distinguée tardivement de celle de pâtissier, de chocolatier et de confiseur. À nos débuts dans la profession, il y avait les machines de guerre comme Berthillon côté créations artisanales françaises, et Grom côté créations artisanales italiennes », se remémore Henri qui s’apprête à dévoiler Akken, petite sœur de Glazed dont on pourra déguster une myriade de créations bio, artisanales, et 100 % françaises aux saveurs estivales. À ce propos, brisons la glace. Il y a bien une différence entre une glace « à l’italienne » et une glace « à la française ». Cette dernière ne réside pas dans l’utilisation de la fameuse machine réfrigérante permettant d’obtenir un joli tourbillon en cornet ou en pot, mais dans sa texture. En bouche, la première est plus aérienne tandis que la seconde est un peu plus ferme.
Sorbet chocolat, wasabi, gingembre ; glace vanille de Madagascar, graines de chanvre bio ; sorbet orange, campari et vinaigre balsamique… Nous voilà bien loin de l’époque où la cour d’Alexandre le Grand faisait installer des puits à neige dans lesquels étaient entreposés de véritables morceaux de glace venus de l’Etna ou des Alpes.
David Wesmaël, sacré Meilleur Ouvrier de France glacier en 2004 et créateur de la Glacerie Paris, nous introduit à l’art et la manière de travailler artisanalement ce drôle de mets pour lequel on ne plaisante pas avec la qualité des matières premières. « 75 % des nôtres sont locales comme le lait entier, la crème ou encore le sucre provenant des Hauts-de-France où se trouve notre labo à Lille. On travaille aussi des citrons jaunes de Menton, le safran des toits de Paris, ou encore des abricots du Roussillon. Pour les produits comme le chocolat dont certains proviennent du Venezuela, la vanille de Madagascar et la pistache de Sicile nous faisons exception mais tous sont sourcés auprès de producteurs vertueux. »
La suite se passe derrière les fourneaux. « Pour un sorbet à la fraise, on lave ses fruits, on les équeute puis on en fait une purée. À côté on prépare un sirop d’eau et de sucre que l’on va assembler avec pour constituer le “mix”, notre glace à l’état liquide. Il va ensuite maturer tranquillement en chambre froide pour atteindre son état solide et développer ses arômes. Une fois sorti, on le passe dans une turbine afin de le brasser et d’obtenir une texture spatulable et onctueuse », explique-t-il.
Friser le brain freeze aux comptoirs de glaciers malhonnêtes
À l’entrée dans la période estivale, on ne compte plus le nombre de collaborations déboulant à la carte des adresses ayant le vent en poupe dans la capitale. De Dumbo à Babka Zana en passant
par The Social Food, ces becs à glaces aux palais affûtés privilégient le meilleur pour leur délices givrés. C’est ainsi que l’été dernier on voyait Alain Chartier, Meilleur Ouvrier de France Glacier 2000 et champion du monde des desserts glacés 2003, s’associer au roi du smash burger ; Henri Guittet à la boulangerie levantine, et la cheffe Lorenza Lenzi au duo de photographes. Car l’entourloupe n’est jamais bien loin comme le rappelle de concert le fondateur de Glazed et celui de La Glacerie Paris.
Gare aux comptoirs estampillés « glacerie artisanale » abusant d’arômes et de colorants artificiels ainsi que d’un foisonnement important lors du passage de leurs préparations glacées en turbine. Cette étape consiste à y introduire une quantité d’air plus ou moins importante afin de lui apporter légèreté et fluidité souhaitées. « Le taux d’air incorporé ne devrait pas dépasser les10% à 30% pour un kilo de glace», précise Henri Guittet nous expliquant que l’augmenter au-delà de ces seuils permet aux vendeurs d’avoir recours à moins de matières premières tout en produisant en grande quantité, à moindre coût.
Alors qu’en France la législation est peu regardante sur cette pratique malhonnête, en Italie elle est désormais punie par la loi. « Pour reconnaître une véritable glace artisanale la couleur est un premier indice mais son goût reste le véritable gage de qualité », fait remarquer David Wesmaël. « Pour reprendre l’exemple du sorbet, au kilo on va retrouver au moins 70 % de fraises dans le nôtre contre 25 % à 30 % chez d’autres. » En atteste son fraisier givré en trompe-l’œil lancé au printemps dernier où l’on retrouvait tout le fruit de la gariguette de Plougastel mise en majesté. « En pâtisserie, dans une mousse ou un crémeux, on n’arrivera jamais à retrouver la quintessence gustative d’un produit brut comme dans une préparation glacée », souligne-t-il. La messe est dite.