« Toutes nos étiquettes de vin proviennent de vitraux d’église et nous sommes profondément attachés au fait qu’il existe autre chose après cette vie, mais nous ne produisons pas de vins de messe à ce jour, c’est un vieux «poisson d’avril» émanant d’un journaliste il y a une dizaine d’années. » Quand on envisage de se taper un vin de messe et qu’on lance des bouteilles à la mer, on reçoit des messages inattendus. Celui de l’épatant Fred Niger, vigneron ligérien en biodynamie au Domaine de l’Écu, est entré directement dans le panthéon du journaliste d’investigation toujours au bord de se laisser abuser par des confrères malicieux ou peu scrupuleux. Après avoir entrevu la lumière, les voies du Saint Calice restaient à ce stade impénétrables. Retour à l’autel.
La Bible chrétienne regorge de références au vin. Des récits de gueule de bois dont on fait les arches : « Noé fut le premier agriculteur.
Il planta une vigne et il en but le vin, s’enivra et se trouva nu à l’intérieur de sa tente» (Genèse 9: 20)*. Mais aussi des recommandations dignes de la loi Évin : « Pour les hommes, le vin est comme la vie, si on le boit avec modération. Quelle vie pour celui qui manque de vin ! Aussi bien fut-il créé aux origines pour apporter la joie» (Siracide 31: 27)*. S’il intervient pendant les offices, c’est bien sûr en souvenir du dernier repas de Jésus Christ avec ses disciples avant un confinement de trois jours, raconté à la fois par Marc et Matthieu : « Pendant le repas, Jésus (…) prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : “ Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude, pour le pardon des péchés”. » ** Un rituel aujourd’hui très peu pratiqué en France lors de l’Eucharistie. « Dans les pays anglo-saxons, on communie plus couramment sous les deux espèces (le pain et le vin, ndlr), raconte le père Benoist de Sinéty. Je l’ai observé quand j’étais jeune prêtre en Angleterre, même en semaine, alors qu’on ne présente le vin aux fidèles généralement que le Jeudi saint en France. Même hors crise sanitaire, c’est une question d’hygiène, mais aussi d’organisation et de temps, pour que la messe ne s’éternise pas. » Seule exception, les croyants allergiques au gluten des hosties, confectionnées forcément à base de farine de blé, peuvent demander leur petite coupe personnelle pour communier au vin.
Redemptionis Sacramentum
Ayant récemment quitté sa position de vicaire général de l’archidiocèse de Paris pour redevenir « simple » curé à Lille, Benoist de Sinéty ne prévoit pas de bouleverser l’approvisionnement de sa paroisse nordiste, ni de consacrer un budget dispendieux à ce poste très particulier.
« On en prend une gorgée, on ne se livre pas à des libations invraisemblables, rappelle t-il. Il faut qu’il soit correct, partout où je suis arrivé, je me suis toujours fié au goût de mes prédécesseurs. » Hors micro, il confie malgré tout être amateur des vins de la vallée du Rhône, Châteauneuf-du-Pape en particulier, et pas pour le jeu de mot. Quoi qu’il en soit, les textes sont formels, le vin de messe doit être un vin, même si certains prêtres en proie aux démons de l’alcoolisme peuvent obtenir un « indult » (dérogation à la loi canonique accordée par le pape ou le Saint-Siège) afin de le remplacer par du jus de raisin. La dernière lettre pastorale en date, « Redemptionis Sacramentum, sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie », publiée le 15 juin 2017, est catégorique : « Le saint Sacrifice eucharistique doit être célébré avec du vin naturel de raisins, pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères ». Alors que les OGM sont curieusement tolérés, par substance étrangère, on entend surtout sucre. Vade retro chaptalisationas !
Mais, si rouge sur rouge, rien ne bouge, le sang du Christ est généralement blanc. “C’est moins salissant”.
Pour conserver une bouteille ouverte dont on n’utilise que quelques centilitres, le vin de messe idéal est un vin doux, naturellement sucré.
Mais, si rouge sur rouge, rien ne bouge, le sang du Christ est généralement blanc. « C’est moins salissant, tranche Nicolas Roux, vigneron et diacre (homme marié ou célibataire ordonné par l’Église, ndlr). Je préfère éviter les taches de vin rouge, ma mission étant notamment de mettre le couvert à l’autel, de ranger l’autel, de faire le ménage et la vaisselle. » Cet homme au service du plus pauvre, de la prière, de la charité et de la parole de Dieu, produit un Rivesaltes, vin doux naturel dont on arrête la fermentation quand la sucrosité résiduelle désirée est atteinte. Pour les cinq chapelles et cinq églises de Perpignan où il officie et qu’il approvisionne, entre 75 et 100 litres par an suffisent. Mais, dans la coopérative à laquelle il apporte son raisin, la Cave Arnaud de Villeneuve, on expédie à peu près 6 000 litres par an.
« Notre plus gros client, c’est la Ciergerie Desfossés, confie Anne Tixier, responsable de production. On leur envoie environ 2 000 bouteilles et le reste est conditionné en cubi. C’est du vin déclassé en « vin de liqueur » et la mention « vin de messe » figure en toutes lettres. Je crois savoir que la majorité part ensuite en Afrique. » Impossible de vérifier, malgré un appel et un email, la Ciergerie Desfossés, e-shop de produits religieux, n’a pas voulu passer à confesse. Peut-être échaudée par les déboires de sa consœur canadienne, la Procure Ecclésiastique à Québec. En avril 2021, la police a effectué une descente spectaculaire dans plusieurs dépôts de la ville pour saisir 8 000 bouteilles, en vertu de
la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques. Une boutique en ligne avait vendu 12 bouteilles à un petit malin, sans lien avec l’Église, qui voulait sans doute se taper un vin de messe. Tempête dans un bénitier, on a frôlé la pénurie, jusqu’à ce que la Société des alcools du Québec donne son absolution et refasse le niveau dans les calices. Le contrevenant aurait pu éviter ce scandale s’il avait écouté Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec : « Quand j’ai été ordonné prêtre, ma famille me taquinait en disant que je serais payé pour boire du vin. Un jour, j’ai apporté une bouteille de vin de messe pour le repas. Ils y ont tous goûté, et je n’en ai plus jamais entendu parler. » Amen.
* « Traduction Œcu- ménique de la Bible » (Bibli’O – Société biblique française et Éditions du Cerf), collectif
**Propos recueillis par Vincent Larouche, pour La Presse