Rendez-vous Porte 12
Le chef André Chiang du restaurant éponyme primé maintes fois au classement des World’s 50 best restaurants s’est associé à son ancien second Vincent Crépel en ouvrant une adresse très secrète dans le 10è arrondissement de Paris. Nous nous sommes rendu Porte 12, où nous avons découvert une cuisine délicate au style affirmé. Rencontre avec les deux hommes à l’origine de cette belle aventure.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Vincent a travaillé chez Jaan avec moi puis nous avons fait l’ouverture d’André ensemble en 2009-2010. Il était mon second de cuisine.
Je viens du Pays Basque où j’ai suivi un enseignement culinaire relativement classique. J’ai eu envie de voyager et j’ai appelé André. J’avais eu son numéro de téléphone grâce à un fournisseur et tout s’est fait naturellement : on s’est rencontré, on a bu un café et on a rapidement commencé à travailler ensemble.
Cuisiner au sein d’un restaurant d’hôtel est toujours compliqué car le chef est sous le joug des patrons qui donnent la direction à prendre. C’est pour ça que vous avez décidé de créer André ?
En effet, Jaan fait partie du Swissôtel à Singapour et j’avais le sentiment d’être brimé et de ne pas pouvoir m’exprimer comme je l’entendais. Le soir où j’ai appris que Jaan entrait au classement des 50 meilleurs restaurants du monde, j’étais en voyage et j’ai réalisé que j’étais au maximum de ce que je pouvais donner compte tenu de mes directives et de la structure du restaurant. En rentrant, j’ai annoncé ma démission et tout le monde était choqué.
L’envie d’un cuisinier c’est de pouvoir se lâcher quand il a des idées, être créatif. Dans un hôtel, certains plats se doivent d’être à la carte même si on les revisite et il y a toujours des barrières. Souvent la direction est trébuchante : ils commencent avec une cuisine asiatique puis bifurquent sur une cuisine française et les gens sont déboussolés, c’était le cas à Jaan avant l’arrivée d’André.
Finalement, André s’est frayé une place au classement en devenant même le 6ème meilleur restaurant d’Asie. Accordez-vous beaucoup d’importance à ces classements ? Et qu’en est-il des critiques ?
Ces reconnaissances sont très positives pour nous car cela nous permet d’être visible pour les clients. En 2011, nous étions #100 au classement, #38 en 2013 et #37 aujourd’hui ; est-ce-que c’est important pour moi et pour ma brigade ? Oui. Est-ce-que cela va changer ma façon de cuisiner ? Non. Pour moi le plus important c’est de rester concentré sur ce que je sais faire et ce que j’aime faire. Les critiques, je préfère les éviter et ne pas les lire.
Bien sûr que les avis des journalistes m’intéressent mais je pense que je m’intéresse encore plus à l’avis du client. Celui qui me dira s’il a passé un bon moment, s’il reviendra. Il y a beaucoup de critiques, certaines sont justes et d’autres moins, c’est pourquoi il vaut mieux rester concentré. On fait un briefing avant le service et un second après le service pour que tout soit parfait.
Voyez-vous des différences entre la clientèle française et celle de Singapour ?
Je trouve que les singapouriens sont très ouvert, peut-être plus que les européens. Il y a une culture food très forte, là-bas on peut littéralement manger à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Par rapport à la France, je sais qu’à Singapour rares sont les personnes qui cuisinent à la maison, la plupart des gens mangent à l’extérieur.
Comment s’est passé la création de Porte 12 ?
Je suis parti travailler à Crissier aux côtés du chef Benoît Violier à L’Hôtel de Ville. André et moi sommes toujours restés en contact et gardions un oeil sur ce que faisait l’un et l’autre. On a entendu parler de ce lieu et on a décidé de travailler ensemble.
Aujourd’hui je suis là pour soutenir Vincent et j’ai pleinement confiance en la direction qu’il prendra.
Vincent, était-ce le bon moment pour vous ?
Oui, je vais avoir 30 ans et j’ai eu la chance d’acquérir des méthodes de travail auprès de grands chefs. Pour moi c’est l’aboutissement d’un parcours et j’ai envie, à mon tour, de montrer ce que je sais faire et de le transmettre.
André, est-ce que la transmission de savoir-faire est une chose importante pour vous ?
Oui, c’est capital. Moi-même j’ai appris énormément notamment en France avec les frères Pourcel avec qui j’ai travaillé pendant 9 ans. Dans ma brigade, je ne demande pas aux gens de penser comme moi, j’attends un échange. Je pense apprendre des autres aussi car si nous ne sommes que 16 personnes en tout dans mon restaurant, il y a 13 nationalités différentes et chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. C’est assez amusant d’ailleurs de voir chaque personne apporter un peu de sa culture lorsqu’on conçoit un plat. Chacun a une vision différente pour chaque aliment.
Comment définiriez-vous Porte 12 ?
On y fait cuisine spontanée qui est toujours en mouvement et évolue au rythme des saisons.
Le principe c’est de réfléchir à ce dont j’aurais envie en tant que client. Aujourd’hui, au vu du contexte économique, j’ai envie d’une cuisine de qualité qui reste accessible. D’une certaine manière je n’ai plus besoin des chichis sur l’assiette
On est sur une vague de retour à la simplicité, une cuisine plus épurée et d’une certaine manière un retour aux racines. J’ai envie de me sentir bien dans un lieu sans avoir à parler tout bas ni être entouré de cinq personnes à mon service.
D’une certaine façon, nous sommes en train de redéfinir l’idée de luxe. Qu’est-ce que le luxe ? Ce ne sont pas les chandeliers en crystal qui ornent la table mais ce qu’il y a dans l’assiette.
Vous avez tous les deux beaucoup voyagé notamment pour votre carrière, qu’est-ce que ces voyages ont apporté à votre cuisine selon vous ?
Les voyages en général nous ouvrent l’esprit et découvrir de nouvelles saveurs forme le palais. Chaque maison marque notre travail et c’est à nous de trouver ensuite notre propre langage.
Cela nous rend plus aventureux, on n’a pas peur d’essayer, de créer. Les termes de restaurants «asian fusion», «français» etc. me semblent dépassés. Je vais au restaurant pour l’identité d’un chef, je vais chez Michel Bras pour sa cuisine et non pour goûter à une cuisine française.
Quelles sont vos envies dès l’arrivée de l’hiver ?
Un poisson d’eau froide, peut-être un lieu jaune avec des cardons et un bouillon de mollusques, quelque chose d’assez léger. Autrement je peux me laisser tenter par une tartiflette, mais dans ce cas c’est ma mère qui la fait.
Une soupe de légumes un peu comme un cassoulet avec des haricots, des haricots coco et des légumes racines.