Si la crise sanitaire et le confinement ont entraîné chez certains une profonde remise en question de leur mode de vie, d’autres y ont puisé l’inspiration pour poursuivre leur exploration de nouveaux territoires.
C’est le cas de Sofie Sleumer et de Michel Mulder.
On essaie en général de changer de vie tout le temps.
Sofie Sleumer
Quand il s’agit d’évoquer son quotidien, Sofie Sleumer donne immédiatement le ton. La designeuse et styliste de formation le partage d’ailleurs avec Michel Mulder, musicien et décorateur. « Ce que nous avons trouvé l’un dans l’autre, c’est l’envie de créer, l’envie d’être libre (…) et peut-être le plus important, l’envie de prendre des risques »– explique le couple. À une époque où chacun cherche à s’épanouir sur le plan professionnel, tous deux ont pour philosophie d’être « toujours prêts à apprendre » et de sortir de leur zone de confort. Leur premier projet en France en est une illustration parfaite. En 2012, le couple s’est installé dans le Perche, à deux heures de Paris, pour transformer un ancien hameau du 17e siècle en hôtel de campagne. Le résultat, D’une Île, se définissait comme un havre de paix pour celles et ceux en quête d’évasion. À l’intérieur, la décoration, comme les propositions culinaires, ont été entièrement pensées par le duo.
(Se) réinventer sans cesse
Ce qui anime véritablement Sofie et Michel cependant, c’est le voyage. Sur Instagram, le projet photographique L’Heure Vide (« l’heure vide, c’est l’heure bleue, l’heure entre le jour et la nuit, un moment de rêve »- explique Sofie) documente leurs pérégrinations à travers le continent américain depuis 2018. À bord de leur Land Rover Defender, qui leur sert également de bureau et de campement, Sofie et Michel pensent satisfaire leur envie d’aventure et de quête de soi. Du parc national de Huascarán, au Pérou, à la réserve nationale de faune andine Eduardo Avaroa, en Bolivie, leurs clichés évoquent le sentiment d’immensité que l’on ressent face aux montagnes ou encore l’apaisement que procure une simple contemplation à ciel ouvert. « Nous avons capturé l’Amérique du Sud comme nous l’avons vécue. Au beau milieu de ces paysages grandioses, on y ressentait la magie de la nature, les esprits des montagnes, du vent… »- raconte Michel.
Leur périple les mène bientôt à la frontière de l’Équateur et de la Colombie, plus précisément au poste frontière de Rumichaca, où ils se heurtent à une toute autre facette du continent, politique et sociale cette fois. Là-bas, des milliers de réfugiés vénézuéliens, fuyant une crise économique sans précédent, attendent pour entrer en Équateur. La malnutrition et le climat particulièrement rude plongent les exilés, dont 70% de femmes et enfants, dans le dénuement le plus total. Près de la frontière, tous dorment dans des refuges collectifs de fortune (les refugio). « Cela leur permet de rester à l’abri des vols » précise Sofie, qui ajoute que, durant le périple, certaines femmes sont victimes de viol et de traite. Leur confrontation à la détresse provoque un déclic: ils veulent agir au plus vite et à leur échelle. Naît alors L’Heure Vide Humanitaire, une ONG dédiée aux projets à court terme.
L’éveil humanitaire
« L’urgence était de faire des choses concrètes »– expliquent Sofie et Michel. Distribution de nourriture, de couvertures, de vêtements, de kits sanitaires… Le couple apporte son aide aux organisations locales (dont Unicef Ecuador ou encore ADRA Ecuador), qui s’efforcent de mettre en place des solutions matérielles. « Par exemple, si un refuge manque de fonds pour installer des panneaux pour que les nouveaux arrivants puissent se repérer, nous allons faire en sorte de les fabriquer et nous finançons aussi le refuge pour qu’il puisse accueillir plus des gens…» Sur le terrain, le couple apprend aussi des obstacles qu’il rencontre, à commencer par la barrière de la langue. « Quand c’est possible, il faut essayer d’apprendre la langue. La confiance s’installe plus facilement », estime Michel. C’est ainsi, au contact des réfugiés, que le duo documente, avec ses moyens, la réalité et la dangerosité de l’exil.
Certaines rencontres marquent particulièrement les deux artistes.
Comme celle de la jeune Andrea âgée de 16 ans lorsque leurs chemins se sont croisés. « Elle avait marché pendant deux semaines avec son nourrisson de 5 mois, sans vêtements de rechange ni couverture pour se protéger du froid ». Non loin de la frontière, à Pamplona, c’est Doña Marta Duque qui les impressionne. Sur plus de dix mois, l’ONG a financé le refuge de cette femme qui « offre, chaque nuit, un abri et un repas à plus de 80 femmes et enfants, dans sa petite maison ». Et ce, malgré l’opposition des gouvernements colombien et équatorien. Via ses réseaux sociaux, le couple recense, image après image, ces rencontres, pour permettre à d’autres de les vivre.
Mené à deux jusqu’ici, le projet accueillera bientôt une troisième protagoniste, qui pourrait amener des ajustements. « Notre fille Bonnie est née le 15 juillet dernier. Nous continuerons bien sûr nos projets, mais cette fois-ci nous ferons attention aux risques que nous prendrons…» explique le couple.
Construire l’après
Pour autant, Sofie et Michel ont bien l’intention de poursuivre leur initiative collective et humanitaire, partout dans le monde. De l’autre côté de l’Atlantique, le couple s’active aussi. Leur nouveau projet,
celui d’un hôtel satellite, verra bientôt le jour (à la fin de l’année – ndlr). À l’image D’une Île (repris par Bertrand Grébaut et Théo Pourriat, fondateurs du restaurant étoilé Septime, dans le 11e arrondissement parisien), ce concept d’hébergement se veut unique et composite.
« L’objectif est d’inaugurer un cocon insolite, chaque année, dans un lieu différent, mais en conservant un service similaire, personnalisé
et raffiné (…). Nous avons pour idée de rester proches des centres touristiques tout en proposant un cadre isolé aux voyageurs. » Le premier gîte, Mas Les Vignes, accueillera les curieux dans une ancienne bergerie du 19ème siècle, au cœur du Parc National des Cévennes, avec à la clé une vue imprenable sur le Mont-Lozère.
Pas question pour le couple cependant de tirer un trait sur les voyages. « Notre idée de départ était de voyager de la France à la Chine. Dès que cela nous sera possible, on aimerait explorer le Nord du Japon, découvrir l’Australie et peut-être nous poser quelque temps en Nouvelle-Zélande où vit actuellement ma sœur », conclue Sofie. Un programme ambitieux qui n’attend plus que le feu vert pour se mettre en route. Domicilié à Amsterdam depuis cinq mois, le couple a en effet dû revoir ses plans, en raison de la crise sanitaire. •