Noujoud Rejbi, fille d’épicier, sait de quoi elle parle. La journaliste autrice du documentaire audio en 4 épisodes « Qui est « l’arabe du coin »? » parle de son père qui, pendant 30 ans, a tenu une épicerie dans le 19ème arrondissement. Comme fil rouge, elle déroule et décortique ce terme raciste et parfois erroné puisque certains de ces épiciers de quartier sont berbères et non arabes. Au delà de son père, elle évoque d’autres commerçants de proximité (ce qu’on entend par « coin »), dont les étals font partie intégrante de notre paysage urbain et très souvent nocturne.
Et pourtant, les récits de vie de ces familles sont trop peu représentés. Les familles, oui, car cette activité conditionne leur quotidien et implique une épouse et des enfants, en raison de la grande amplitude d’horaires d’ouverture. Noujoub explique que sa mère prenait le relai quand son père avait besoin de se reposer. Que ses grands-pères exerçaient le même métier, et que ses grand-mères aidaient aussi. Beaucoup. Ces femmes sans qui rien ne tient ont été particulièrement invisibilisées. Elle part de souvenirs personnels pour mettre la lumière sur un vécu collectif, ce qui rend son point de vue unique et particulièrement immersif.
On ne l’explique pas encore historiquement, faute d’études des chiffres, mais nombre d’épiciers sont originaires de Djerba, au sud de la Tunisie. C’est le cas de la famille de Noujoud. « Dès le XVe siècle, explique-t-elle à nos confrères de Enlarge your Paris, beaucoup de djerbiens se sont investis dans le commerce indépendant. Ils n’avaient pas le choix : le territoire était miné par les guerres et les mauvaises récoltes, il fallait trouver un moyen de vivre. Ils ont commencé en Tunisie puis se sont déplacés au Moyen-Orient et enfin en Europe. En France, on sait que la majorité des épiciers viennent du Sud tunisien, mais aussi de la région du Souss au Maroc. »
Qui sont ces épiciers donc ? Vous aurez des réponses à la fin de l’écoute de ce documentaire enlevé et touchant, qui loin de tomber dans la sensiblerie, offre le portrait d’hommes et de femmes méconnus et qui représentent pourtant un véritable lien social dans nos villes. Leur profession perdure, leur histoire importe.