Wild Wild East avec Olia Hercules
Texte : Valentine Benoist
Photos : Yousef Eldin
Quand es-tu tombée dans la marmite ?
J’ai toujours aimé manger. Mais quand j’habitais en Italie, j’ai vraiment eu le coup de foudre pour un plat de pâtes aux oursins. Le fait qu’un résultat aussi dingue puisse simplement être l’alliance de deux ingrédients tout simples et d’un peu d’huile d’olive m’a fait comprendre que la cuisine pouvait être excitante et créative. C’est à cet instant que je suis devenue une « foodie ».
Et de là à en faire ton métier ?
J’ai commencé à travailler comme journaliste spécialiste du cinéma d’Europe de l’Est. Mais en 2008, j’ai préféré prendre les devants de la crise et démissionner. Je cuisinais sans cesse chez moi et j’ai décidé de suivre une véritable formation de chef. Puis j’ai travaillé chez Ottolenghi, publié mes premières recettes dans le Guardian et les choses se sont enchaînées. Je me pince encore parfois pour y croire !
Le meilleur conseil qu’on t’ait jamais donné ?
Quoiqu’on fasse, toujours rester soi-même et suivre son instinct. Lorsque je me suis retrouvée mère célibataire, j’ai failli accepter un job juste pour son salaire. Mon corps m’a vite rappelée à l’ordre, je me suis sentie mal en sortant du premier rendez-vous. Ce n’était juste pas fait pour moi.
Ton expérience la plus formatrice ?
Travailler dans un restaurant. Mon expérience chez Ottolenghi était à la fois incroyable, intense, et très dure : on travaillait 18h par jour, et deux semaines avant d’accoucher j’étais encore en cuisine !
Ce qui te plaît le plus dans ton métier ?
Tout ! Dans cette niche créative de l’industrie, je suis entourée de gens incroyables, passionnés, qui ont tous choisi d’être là : les photographes sur les séances de stylisme culinaire, les chefs qui viennent me donner un coup de main lorsque j’organise des événements… Ils dégagent tous une énergie communicative.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Tout ce qui se passe dans ma vie influence ma cuisine. Je suis partie en Géorgie et y ai rencontré des personnes fantastiques. Leurs histoires comme leurs cuisines ont donné naissance à un banquet géorgien, en accord avec des vins nature et bières artisanales locales, pendant une semaine chez Carousel (ndlr : une résidence de chefs à Londres) en février dernier.
Comment définirais-tu ton approche de la cuisine ?
Pour moi, les recettes sont indissociables de leurs histoires. Transmettre ces traditions en les modernisant, me pencher sur des recettes qui ont une âme et une histoire, c’est ça qui m’intéresse. Aborder la cuisine sous un angle culturel et anthropologique, en quelque sorte.
Quand as-tu pris conscience de ton héritage culinaire ?
Quand les conflits ont commencé en Ukraine, le futur semblait incertain. C’est là que nous avons commencé avec ma mère à noter toutes les recettes, pour préserver cet héritage familial dont elle est la gardienne et qui pouvait disparaître à tout instant. Quand j’ai écrit mon premier livre, je suis naturellement rentrée au bercail pour concevoir les recettes avec ma mère et ma tante !
Ton fils a quatre ans, qu’aimerais-tu lui transmettre ?
Vivre et cuisiner en accord avec les saisons, sans gâchis. Redonner le temps au temps, loin du rythme effréné de notre société. Un peu plus comme nos ancêtres, sans compromis. Je fais de mon mieux pour respecter cette approche au quotidien. Par exemple, la viande était un luxe pour mes grands-parents. Je ne suis pas végétarienne, j’adore ça ! Mais nous n’en mangeons pas tous les jours pour mieux l’apprécier. Sacha grandit heureux ainsi.
Tu voudrais qu’il devienne chef plus tard ?
Ses deux parents sont chefs, il baigne dans cet univers et est super curieux. L’autre jour au jardin d’enfants, il faisait semblant d’avoir son restaurant et je devais être son sous-chef ! Il criait « le poulpe, rajoutez un peu de citron, venez le chercher ! », en plein service imaginaire. Je lui dis juste qu’il pourra faire absolument tout ce qu’il veut quand il sera grand, tant qu’il le fait avec passion.
Ce fameux banquet géorgien, c’était la première fois que ta mère assistait à un de tes événements ?
Oui, j’étais tellement fière de lui montrer ce que j’avais réussi à accomplir. Quand on cuisine ensemble, il faut toujours qu’elle mette son grain de sel. Après le dîner, elle a même appelé mon père pour lui dire « Oh mon Dieu, notre fille est un vrai chef » ! Il était temps.