Les premières pluies de septembre sonnent le glas des réjouissances estivales et officialisent cette si redoutée rentrée. Heureusement cette dernière est marquée par la sortie d’un album propice à stimuler la mélanine, celui de Nemir. Il aura fallu attendre dix ans avant que le natif de Perpignan daigne faire rouler son accent tout au long d’un premier opus. Pour se réchauffer, je lui donne rendez-vous au Café d’Ici, un restaurant associatif planqué au coeur de l’Institut des Cultures de l’Islam. Assis autour d’un généreux couscous, les premières vannes fusent et on comprend au fil de la discussion, toute la valeur initiatique d’un premier album.
Tu te sens bien ici ?
Ça sent bon, comme chez ma mère. Ce n’est même pas atypique pour moi, ici. Il n’y a que ça dans mon quartier à Saint-Jacques, des petits restaus rebeus, des cantines simples.
C’est un lieu où je me sens bien. Comme toi, je m’attache beaucoup à ce genre d’endroits qui ont une signification forte culturellement.
Musicalement, j’ai grandi dans la culture et dans la musique arabe, avant de m’imprégner du reste. Pendant longtemps, je rejetais tout ce pan de ma vie, parce que tu grandis tu t’imagines américain et tu veux faire du rap. Depuis 5 ou 6 ans, je reviens à tout ça, c’est une fois que t’es parti de chez toi que tu te rends compte de l’importance de ce bagage culturel. À 16 ans, t’as envie d’être autre chose, de sortir du terrier. Et pourtant, on y revient toujours. Aujourd’hui, ma musique je la veux et je l’assume plus orientale.
On est à Château Rouge, qui reste à mes yeux l’un de ces bastions ultra populaires à l’identité très forte. C’est un peu le pendant parisien de ton quartier natal, celui de Saint-Jacques à Perpignan…
L’identité c’est important. À l’heure globalisée où tout se dilue, les identités sont encore plus discrètes. Ce quartier, cette cantine, ce sont des lieux sauvegardés où il n’y a pas eu de filtre ni d’uniformisation visant à rendre les choses froides, propres. La différence, c’est devenu un problème, alors que c’est important. Saint-Jacques pour moi c’est une évidence. J’y suis né, j’y reste. Saint-Jacques a une histoire forte, il y a plein de mélanges, une grande communauté gitane, des gens différents et tout ça en centre-ville ! C’est l’endroit où je me sens le plus heureux, le plus protégé.
Tu restes très attaché à ce quartier…
C’est là que j’ai joué au foot, c’est là que je me suis cassé la gueule les premières fois. C’est chez moi. J’aime bien me balader dans les rues étroites, passer devant la cathédrale et voir des visages familiers, c’est un réconfort aussi. C’est vrai qu’avec le boulot je suis souvent à Paris mais dès que je peux, direction Saint-Jacques, pour voir ma mère et voir les miens. Je suis routinier, je ne vais que dans les endroits où je me sens bien, que ce soit des cafés, des restos, ou des cinés, j’ai toujours besoin d’y aller cent fois pour les apprivoiser. Et tous ces endroits je les fréquente depuis toujours et ils m’inspirent en quelque sorte.
D’où le morceau que tu dédies à ton quartier …
C’était une façon d’aborder le quartier et la débrouille de manière légère.
“Y’a pas de Valérie Damidot ici, on peint les murs, [on] s’occupe de la déco”
On a mieux que Valérie Damidot (rires) ! Malheureusement Saint-Jacques a parfois été dépeint comme un lieu dangereux, bizarre alors que tout le monde va bien. On parlait de l’île de Réunion tous les deux, c’est exactement pareil.
Dans la ville de Saint-Pierre, à la Réunion, cohabitent notamment un temple bouddhiste, une mosquée et une église à quelques mètres d’écart….
Dans un petit périmètre tu as des univers, des valeurs, des gens différents et pourtant tout va bien parce que chacun est différent à sa manière. Mais le quartier surpasse tout, on se débrouille ensemble, on se donne des coups de mains. C’est un sentiment fort.
Les couscous arrivent. Un traditionnel aux légumes pour Némir …
Je suis végétarien désormais. Au quotidien c’est très simple pour moi, mais j’avoue que quand je vois de vraies merguez comme ça, c’est assez tentant…
J’ai commandé un couscous “berbère” qui arrive escorté de merguez bien relevées et d’une redoutable sauce aux oignons confits, pois chiches, raisins secs. Imparable par jour de pluie. Le point commun entre ce resto, Saint-Jacques, Château Rouge, c’est aussi le métissage. Même si je ne suis plus trop à l’aise avec ce terme parce qu’il a été déshonoré, voire maltraité et en même temps c’est notre histoire le mélange.
Je suis tellement d’accord, et c’est génial que tu me dises ça. Ce terme-là est souvent au service de stéréotypes. Je ne parle même plus de métissage parce qu’en fait je ne me pose plus la question. C’est juste ma vie, une réalité et un présent. Les gens bougent, voyagent, se rencontrent, s’unissent. Dans ma vie de tous les jours j’y pense même pas, je ne suis pas forcé de mettre des mots sur ce que je suis profondément.
D’ailleurs tu entretiens le même rapport avec la musique, quand j’écoute l’album tu passes habilement du jazz, à la rumba, et même la bossa nova.
Exactement, l’idée d’avoir un champ des possibles illimité me rend heureux. C’est mon côté nietzschéen (rires). Se définir et se mettre derrière le “rap” c’est se limiter. Pour moi il n’y a pas de frontières. Un jour je rajoute, un jour j’enlève, tout ça c’est ludique et ce sont des énigmes que je tente de résoudre quotidiennement.
Tu as des lieux de prédilections pour écrire ?
Il faut que je sois dans des lieux de confiance. Là où j’ai mes habitudes. Si je ne connais pas le lieu et que je commence quand même à y écrire, c’est parce que je ressens une bienveillance naturelle suffisamment grande pour me rendre serein. Un peu comme ici. À Paris je bosse dans un studio à Montreuil où j’ai réussis à recréer cette atmosphère de confiance. C’est pas vraiment Paris, c’est un peu excentré ça me permet aussi d’avoir un confort aussi bien physique que mental. C’est tranquille, c’est chez moi maintenant.
Face à toi, en écoutant l’album, difficile de ne pas dépeindre un artiste apaisé. Mais mine de rien dans ton titre Favela …
C’est le morceau le plus vieux, je l’ai écrit il y a quatre ans…
Quand on dit “favela” ça rime bien souvent avec guerre urbaine, or dans ce morceau c’est un peu avec toi-même que t’es en guerre…
J’aimais bien le champ lexical de la favela, non pas par mimétisme culturel mais parce que mon quartier à Perpignan, c’est vraiment une favela. Non il n’y a pas de maison en tôle, mais c’est la même atmosphère : c’est la débrouille avant tout. Et bien évidemment ça évoque aussi cette favela mentale, cette prison d’esprit, ce quartier dans lequel on s’enferme. Qui est parfois plus difficile à surmonter que le quartier physique.
Cet album, il est aussi fait pour apprendre à comprendre ses sentiments, pour apprendre à les gérer …
Clairement, et j’arrive aussi mieux à les apprivoiser depuis cet album. Vraiment.
Et malgré toute la pudeur récurrente dans ton milieu culturel d’origine …
En vrai au fond de nous, on est des gens très libres. C’est juste qu’on ne connaît pas l’exercice de se dévoiler, on est pudiques sur tout. Sur la réussite, sur l’ambition. Même sur la possibilité de réussir, se donner le droit de tenter c’est déjà quelque chose. C’est très caractéristique de cette culture, de la nôtre. Un peu comme dans le rap, on n’a pas parlé de sentiments pendant longtemps, on n’a pas chanté pendant longtemps !
Dans le même temps, tu t’affranchis de toutes ces barrières pour offrir de belles déclarations, notamment à ta maman.
J’ai écrit le morceau “Loin devant” très naturellement mais j’ai eu du mal à l’assumer. Et puis avec le temps ça m’a offert d’autres perspectives. Je me suis mis des règles là où je ne devais pas en avoir pour finalement me dire que si je l’ai fait sincèrement, alors c’est légitime. Moi je cumule : famille immigrée, monde de garçons, vie de quartier, la virilité dans ces milieux là, la débrouille. Sans compter le monde du rap, très codifié. Faire un morceau où j’affirme «Maman je t’aime» c’était comme «tricher» j’avais l’impression que c’était une façon d’être plus commercial et avancer plus vite. Alors que pas du tout, j’avais des appréhensions et des idées reçues alors qu’au fond ça m’a libéré.
Tu as pris le temps de faire cet album parce tu espères qu’il va marquer les esprits ?
Je peux être très dur avec moi-même. Je n’ai pas envie de remettre en question une oeuvre dont je suis fier. J’ai choisi ce métier en ayant conscience que mon avenir était incertain. Autant le prendre de la bonne façon et de me faire plaisir. C’est aussi une façon de me soulager et de me délester de la peur de faire un album. Maintenant il ne me reste qu’à surprendre, affirmer, confirmer. Pour apporter encore des choses à ta musique, lui offrir davantage de densité. À chaque morceau que je fais, je recherche des sensations et quand elles sont là, je peux y aller.
Tu as bien mangé ?
De ouf, et le couscous c’est traître. Quand tu vois la petite assiette arriver tu te dis qu’il va t’en falloir plus. Et finalement t’es calé. Je me suis senti bien ici. D’ailleurs je vais revenir, ma femme adore le couscous et tu m’as donné un bon plan. C’est comme à la maison ici, c’est beurré, c’est huileux. C’est réconfortant. Il y a pas mal d’amour là dedans.
C’est tout ce qui compte, l’amour et la bonne bouffe.