Il est l’une des deux faces de Mur.Mur. De l’autre côté, sa complice de la première heure Lucie, a créé l’agence en empruntant le nom de grapheur de son compagnon pour la baptiser. Mais Mur.Mur, c’est aussi ceux qu’on glisse à l’oreille avec une bonne idée, celle du duo, de la construction et donc bien naturellement, de l’architecture. Chemin faisant, cette architecture est fréquemment dédiée aux lieux de restauration et commerces de bouche parisiens. Un hasard ? oui et non explique Benoît. Celui qui travaillait sur des infrastructures ferroviaires ne se destinait pas nécessairement à ce type de chantier avant de rejoindre Lucie, son acolyte de l’École Nationale Supérieure d’Architecture. Mais un jour, derrière le canal Saint-Martin, la rue des vinaigriers a été le théâtre d’un nouveau projet déco, un Fish and chips. Très vite, un boulanger de la même rue est conquis par la rénovation voisine et le bouche à oreilles, c’est le cas de le dire, fait son œuvre. Bientôt le 10ème devient pour Lucie et Benoît un véritable terrain d’expérimentation. « C’est le pur hasard qui nous a amenés dans ce quartier inscrit dans la food raconte Benoît. Les chantiers se sont succédé, l’un en appelant un autre. » Jusqu’aux quatre coins de Paris.
Et puis, il y a une appétence certaine pour le monde culinaire et ses projets avec parfois peu de budget de rénovation ou de réhabilitation poursuit l’architecte. «L’idée est de valoriser l’existant et d’y incorporer de nouveaux éléments avec ce qu’il peut nous rester en budget déco. Notre travail, c’est l’interaction entre ces deux choses, c’est s’adapter au lieu.» Hors de question d’entrer au forcing donc et d’imposer une vision, bien au contraire. « Sans jamais dénaturer, on peut tout de même s’exprimer et s’accorder à la demande du client ». Chaque projet en devient unique, et l’idée est de ne pas ressembler au voisin. «Il faut des marqueurs design forts pour éviter la lassitude et inscrire un établissement dans un environnement, tout en le distinguant des autres.» Pour ne jamais être démodé, il faut peut-être tout simplement ne jamais chercher à être à la mode.
Le secret du duo réside certainement là : il n’y a pas de patte Mur.Mur ni de volonté à entrer dans une case, mais une écoute et une adaptabilité à la fois du contenant et du contenu qui donne à chaque lieu une identité singulière. La poissonnerie Belle Mer de Pantin ne ressemble en rien à Poissons, rue des gravilliers, et pourtant l’aménagement est signé des mêmes quatre mains. En revanche, s’il y a bien une volonté constante dans le travail du duo, c’est de faire entrer la lumière naturelle et rendre chaque endroit agréable et confortable quelque soit l’aménagement. Qu’on soit assis sur une banquette ou accoudés au comptoir, « personne ne doit être puni » affirme Benoît.
Quand on lui demande ce qu’ils entendent avec Lucie par « modénature », un concept fil rouge de leur travail, il s’inquiète d’avoir été assez clair : « C’est l’aspect plastique d’une chose qu’on déforme pour en accentuer des traits par des éléments signalétiques. C’est prendre à partie un aspect et le pousser au bout sans s’éparpiller, valoriser un élément particulier.» Il suffit de pousser la porte des restaurants dont ils se sont occupés pour comprendre.
Parfois même rester sur le trottoir, pour admirer une façade atypique. C’est le cas de Dizen, la sabicherie de Pigalle, le comptoir de poche dont l’entrée est une ouverture courbée, pas plus large que la boutique elle-même. Une vraie petite pépite architecturale dont il aurait été dommage de se priver. «C’est dernièrement mon projet coup de cœur confie Benoît. On a ensuite travaillé avec l’idée d’arrondi dans cet espace minuscule mais qui offrait beaucoup de possibilités. » Cette devanture, malgré ce que l’on pourrait croire, est d’origine. Donc ce projet respecte l’âme de ce coin de Paris tout en offrant un spot flambant neuf, une alcôve futuriste. « Dans 20 ans, ce sera toujours là! » lance l’architecte, la certitude et la volonté dans la voix de faire durer un héritage. « Il nous est arrivé d’avoir de belles surprises, sous un revêtement, un faux plafond, une tapisserie et retrouver des matériaux d’époque nobles. On s’adapte et on les intègre ». Les vestiges deviennent les parties prenantes surprises d’un tout, au service de l’histoire du lieu et de son volume.
Encore une façon amplement réussie de faire vivre un endroit autour du partage de la cuisine, en dialogue avec celles et ceux qui la préparent. « Parfois on fait des testing en avant-première et on se lance dans une construction commune ». Car oui, finalement, les métiers d’architecte et de cuisinier ont une philosophie à la fois similaire et complémentaire, celle de créer l’harmonie. D’une façade historique à l’assiette, il n’y a qu’une bouchée…
-> Photos : Yvan Moreau, Claudio Fleitas, Elise Dumas, Romain Ricard, The Travel Buds.