Lyle's, Londres
Texte et photos : Ella Vázquez
L’Est est-il toujours enclin à la liberté ? On est en mesure de se poser la question tant les tables enracinées à gauche des grandes villes cosmopolites semblent adopter le triptyque « brut, nature et décomplexé». Paris et son 11ème, New-York et son East Village, tout comme Londres et son fabuleux quartier de Shoreditch. À quelques pas des emblématiques tags et motifs underground, une artère du quartier londonien accueille les dernières tables polies et épurées, à l’image de l’incroyable Lyle’s de James Lowe.
Avant de voler de ses propres ailes, cet anglais aux visage angélique passe par l’institution St John, puis devient l’instigateur d’une nouvelle vague culinaire naturiste et personnelle piochant dans le terroir british. Il lance ainsi son collectif à quatre mains « The Young Turks », avec Isaac McHale, chef du restaurant The Clove Club. La révolution est en marche.
Dans son écrin blanc immaculé, Lowe joue une partition puriste avec des compositions jonglant entre radicalité à l’anglaise et sensibilité scandinave. Les assiettes se déhanchent à table embrassant le tempo d’un ballet bien orchestré. L’une suit l’autre, dans une rythmique douce permettant la vraie dégustation et l’étonnement à chaque bouchée. La culte anguille fumée ouvre le bal sous des capes de radicchio rose jouxtant des betteraves robustes et tendres. Derrière ce mariage, s’affiche une technique glorieuse de la new-nordic cuisine : déshydratation du tubercule puis réhydratation dans son propre jus. Parler de cuisine slash serait réducteur pour qualifier les oeuvres de James. Trois produits simples cohabitent dans un tableau avant-gardiste où la nature brille à l’état brut. Au premier plan, les producteurs. Sans les pêcheurs d’exception, serait-il si aisé de présenter une tête de barbue à la fois brute et audacieuse ? Pas sûr. Intriguante et provoquante, elle s’habille de gourmandise grâce à des algues dulce en pickles et une râpée de saint-jacques sechée. La brutalité monte en grade avec l’agressivité envoûtante d’un toast giboyeux, où se pavane en toute nonchalance un bec fin et long : celui d’une bécassine. Cet oiseau rare interdit à la restauration en France, devient chez Lyle’s un concentré champêtre où le coeur, l’intestin, le foie et les chutes de la bécasse s’adoucissent à coups de beurre et de vinaigrette. Un nouveau témoignage de l’audace néo-british du chef. Pour calmer les esprits, s’attable un autre gibier bien plus câlin. Le faisan s’escorte d’une purée de coing et d’un céleri déshydraté / réhydraté dans son jus accompagné de beurre pour une sensation molletonneuse et crémeuse au palais. Comme une balade sur un nuage. Clap de fin avec l’incroyable glace de courge. Texture soyeuse et parfum légèrement sucré, contrebalancé par un sel de sauge et un caramel très corsé, presque brûlé. Une dernière signature marquante comme pour rappeler que Lyle’s est l’emblème d’une cuisine tranchante, personnelle, celle d’une nouvelle ère.
Lyle’s / 56, Shoreditch High Street / London E1 6JJ /
Réservations : +44 20 3011 5911
Prix : Entrées entre 7 et 10£ – Plats 18£ – Desserts 6-9£.
Menu 4 plats: 44£