L'Octaphilosophie d'Andre Chiang
Il y a un mois, nous déjeunions pour la seconde fois à Porte 12, le restaurant d’Andre Chiang tenu par le talentueux Vincent Crépel. À l’occasion de la sortie de son livre Octaphilosophie, paru aux éditions Phaidon, le duo nous a offert un menu pensé à quatre mains résonnant avec la philosophie de cuisine développée dans l’ouvrage.
Il y a une douceur, une précision et probablement un brin de folie dans la cuisine d’Andre. Cette découverte marquée par plus de cinq envois éveille la mémoire et les sens. En amuse-bouche, nous avons goûté au charbon / piquillos / amaebi, déclinaison du charbon / bouche d’encornet / piquillos présent dans Octaphilosophie et au menu de son restaurant à Singapour. Il y a eu la Déclinaison de canard / Soupe de foie gras / Pickles de courge butternut qui, au-delà de flatter nos palais à travers des saveurs rondes puis acidulées, nous montre le véritable génie du chef. Le canard est travaillé sous différentes façons en utilisant chaque partie de l’animal. Le plat est servi en deux temps, un craquant orangé translucide déposé sur une bûche puis une assiette recouverte de cylindres de pickles masquant les morceaux de viande juste à côté de la sauce au foie gras. On poursuit avec le Pigeon de Bresse / Petits pois et edamame / Emulsion d’huître rôtie. Superbe, équilibré, surprenant. Et là on sent que l’on déborde de compliments mais si l’on salue la beauté des assiettes, on admire aussi leur enchaînement et le relief qu’elles apportent au menu en marquant chaque étape de cette expérience.
Le livre d’Andre Chiang s’ouvre sur les lettres des frères Pourcel, de Pascal Barbot puis de sa mère. La personne qui a le plus compté dans l’évolution du chef puisque c’est en l’observant travailler dans son restaurant au Japon qu’il fait ses premiers pas en cuisine avant de s’envoler en France pour travailler auprès des Frères Pourcel. Dans cette introduction, le chef nous parle de sa philosophie de cuisine composée de huit éléments : la pureté, le sel, l’artisanat, le sud, la texture, l’unicité, la mémoire et le terroir.
Difficile pour un chef de parler de terroir lorsqu’on évolue à Singapour, une ville qui importe la majeure partie de ses produits des pays voisins. Ainsi, Andre travaille notamment avec des producteurs au Japon et en France puisque sa cuisine porte toujours l’empreinte de son passage ici. Pourtant, il ne travaille qu’avec de petits producteurs en tâchant de soutenir une agriculture raisonnée qui répond à ses idéaux. Aussi, le chef possède une ferme à Taïwan où il cultive des légumes bio. Cette dernière lui permet d’approvisionner une partie de ses restaurants.
Pur – le soin porté aux beaux produits poussent le chef à les proposer simplement en valorisant le travail paysan. Dans ce processus créatif, le chef se passe d’électricité, d’eau et d’assaisonnement en n’utilisant que de l’eau et un couteau.
Sel – un chapitre marqué par « le labeur et les larmes, la sueur et la joie ». On apprend ici qu’Andre a travaillé très dur dès sa jeunesse en ne comptant ni ses heures, ni ses efforts pour devenir un grand cuisinier. Il évoque également Le Petit Prince, un livre offert par sa soeur qui a marqué différentes étapes de sa vie.
Artisanat – l’art de la table a une place centrale dans le restaurant d’Andre. Ce dernier travaille avec un céramiste situé en périphérie de Singapour qui créé des assiettes irrégulières avec une texture qui parfois interpelle les clients. Il a appris a travailler l’argile à ses côtés et a disposé certains de ses objets dans son restaurant.
Sud – Andre a passé plusieurs années dans le Sud de la France, une région qu’il affectionne à tel point qu’il a fait venir un olivier par bateau, placé juste à l’entrée du restaurant. Le chef évoque d’ailleurs « les couleurs vives, le parfum de la terre mouillée après la pluie et les oliviers baignés de soleil et de chaleur ».
Texture – le travail d’équipe est central si bien qu’à chaque changement de menu, le chef inscrit des chiffres sur un tableau blanc correspondant chacun à un plat. Ces chiffres seront tirés au sort, puis préparés par plusieurs chefs avant d’être goûtés ensemble. Une épreuve créative qui mène à des curiosités telles que le charbon de bois, créé comme un trompe l’oeil, préparé avec des cendres végétales puis frit dans l’huile comme des petits pains noirs.
Unicité – on nous parle ici d’harmonie des sens que ce soit au restaurant ou dans l’assiette : « les chefs créent des plats qui éveillent la curiosité, puis le personnel en salle en traduit l’intention ». On ne se contente pas de nourrir l’estomac mais l’on nourrit aussi l’âme et l’esprit à travers l’imagination et la créativité.
Mémoire – lorsqu’on parle de mémoire, on parle aussi de nostalgie et la cuisine est capable de faire ressurgir ces émotions. Andre en profite pour évoquer un souvenir de son temps au Jardin des Sens à Montpellier en 1997, un plat préparé à base de foie gras et de truffe qu’il a rapporté dans son restaurant à Singapour. Ce plat lui rappelle ses débuts et la raison pour laquelle il est devenu chef.
Terroir – Tina Lin, la mère du chef, est un fil rouge dans la carrière du chef. Sans trop en dire, on ressent l’attachement d’Andre à travers différents chapitres. Autrefois, cette dernière cuisinait pour ses trois enfants toute la matinée puis leur apportait leur repas dans trois écoles différentes. Pour elle, la nourriture était la clé d’une bonne santé.
Octaphilosophie, Les huit éléments du restaurant André d’André Chiang, Ed. Phaidon, 49,95€