Qui es-tu, Yuri Andries ?
Je viens de Belgique et je suis un photographe qui se laisse guider par sa curiosité. Pendant mes études à Ghent, j’ai découvert ma fascination pour tout ce qui se situe à la croisée de la fiction et de la réalité. En photo, on peut créer un monde irréel.
Pourquoi as-tu choisi l’Inde ?
Décider de se rendre dans le nord de l’Inde, au Rajasthan et dans l’Uttar Pradesh, avec ma petite amie était un peu flippant. Tout le monde a une histoire à raconter sur cette région qui est censée être la plus intense du pays. Inconfort, bruit, chaos… On était à la recherche d’un monde complètement différent et c’est ce qu’on a trouvé.
Un moment ?
Imaginez que vous êtes sur le quai d’une gare et que 7 hommes vous entourent, vous et votre petite amie, en vous dévisageant. L’un d’entre eux était en train de manger des cacahuètes comme si de rien n’était. Le même jour, quand j’essayais de retirer de l’argent à un distributeur, huit hommes m’encerclaient et ça m’a rendu tellement nerveux que je n’arrivais même pas à insérer ma carte correctement. Mais je crois que j’ai réussi malgré la tension à faire de belles images.
Peux-tu nous en dire plus sur ce voyage ?
Au bout d’un moment, on s’habitue. On laisse aller. On commence à voir émerger la beauté dans le chaos. Une fois qu’on a fait l’expérience de la spiritualité des Indiens, qui est profondément ancrée dans cette culture de la réincarnation, on devient plus serein. Le temps passe plus lentement. J’essayais de trouver l’immobilité dans le mouvement permanent, la douceur au milieu de ces couleurs vives. On savait qu’on était dans un pays qui se développe très vite, en parallèle d’une pauvreté sans précédent. Les palaces majestueux et les personnes qui vivent dans les fissures des murs du fort Mehrangarh à Jodhpur cohabitent.
Qu’as-tu appris ?
Les Indiens ont leur propre manière de dire oui … ou de faire pousser leur moustache. La moustache symbolise le pouvoir et l’appartenance à une classe sociale élevée. C’est ce genre de symbole que l’on apprend vraiment à apprécier après 5 jours d’intoxication alimentaire et 6 kilos perdus. C’est gratifiant d’apprendre à quel point un corps en forme est une chance. L’Inde m’a appris que même les endroits les plus inconnus cachent quelque chose qui m’est familier. Se sentir chez soi à l’étranger apporte une nouvelle vision du monde. Parfois, comme la déesse Kartiyeka, on ressent le besoin de voyager à travers les terres et les mers mais à la fin, comme Ganesha, on retrouve nos maisons et nos familles, peu importe où elles sont.
Un paysage ?
Jodphur, la ville bleue.
Un souvenir ?
Les cigarettes Biri, aussi appellées beedies, et une valise remplie d’épices.
Une photo ?
S’il fallait n’en retenir qu’une je dirais le portrait de Prachi, avec son collier doré. C’était presque la fin de notre voyage et je n’avais pas encore réussi à prendre un portrait réussi d’une femme. La lumière était parfaite et on savourait un moment sur les rives du Gange à Rishikesh. Et elle est arrivée. Elle ne parlait pas le moindre mot d’anglais mais on est parvenu à se comprendre grâce au langage du corps. Peut-être que si elle nous avait parlé, l’image aurait été complètement différente. On se faisait confiance mutuellement. Après plusieurs essais, elle m’a regardé comme ça et j’ai su que cette photo allait faire partie de ma série.