« Créer est un vaste mot. Personnellement, mon rapport à la terre est plutôt viscéral. Des cours du soir à mon départ à la campagne pour me dédier aux créations, tout a été fluide. Le cap de la trentaine a été un atout majeur : c’est maintenant ou jamais ! » Plus spontanée que Léa, difficile. Celle qui jusqu’alors était entrepreneuse, décide il y quatre ans de quitter la capitale, son job et la sécurité d’un emploi, pour dédier son temps et son énergie à sa passion: la sculpture. « Lorsque j’ai commencé, j’ai senti comme un petit alien qui poussait en moi! Pour mieux décrire, comme dans le jeu Jumanji, j’avais ce genre de tambourin dans ma tête qui m’appelait et me disait: « Vas-y », et finalement j’ai écouté cette petite voix, sans regret ». Du tumulte parisien d’un monde qui vibre à 1000 à l’heure au calme de l’atelier, Léa perçoit ces moments de création comme des instants suspendus, des respirations d’abord nécessaires puis vitales.
Des débuts parisiens à l’envol lorrain
Pas à pas, la confiance s’installe. En 2017, son collectif Gangster voit le jour: « nous avons rénové un lieu dans une cour à Bastille pour en faire notre atelier. Nous étions quatre, chacune avec son approche de la terre, Judith Lasry, Emmanuelle Roule, Lola Moreau et moi. On y travaillait, on y organisait des événements, des expositions. C’était notre repaire. C’était également notre collectif d’artistes. Nous collaborions sur des projets à 8 mains, de l’expérimentation à la sauce Gangster. » Prendre le temps d’imaginer des pièces, s’accorder le droit d’appréhender la terre, comprendre sa démarche: ce processus est primordial pour Léa qui perçoit son rapport à la création comme une philosophie de vie « Si on décompose, il y eu le passage à la trentaine, l’envie de m’écouter et LE déclic: après une semaine coupée du monde à l’occasion d’un stage de vannerie, je suis revenue à Paris et le choc a été immédiat. Quelques mois plus tard, j’étais en Lorraine. Proche de mes racines, du calme, de la nature et avec un atelier pour créer, je me suis alignée avec mes envies. » Si ses proches projettent certaines craintes, Léa passe le cap sereinement, bien qu’elle avoue partir sans business plan: « Je ne savais pas si j’allais en vivre mais je vivais pour ». Énergie positive et détermination, les clés du bonheur? En tous cas, pour Léa, aucun doute possible. Son quotidien l’en remercie. Tout comme ses inspirations puisées directement au contact de sa nouvelle vie.
Les méandres du temps
Puisque les civilisations anciennes, notamment la Mésopotamie, la préhistoire, les incas ou l’esthétique mexicaine l’ont toujours passionnée, rien d’étonnant à ce que l’on en perçoive les traces dans son travail. « Ma vision du monde pétrit mes pièces, elles sont la continuité directe de mes croyances. Je suis une grande amatrice de la citation «La vie est un tissage» de Etel Adnan. Pour moi, la personnalité, ce sont pleins de fils qui s’entremêlent et créent un rapport à la création. » Du temps. Pour Léa, la terre est une histoire de temps. Entre l’idée qui naît, la fabrication de la pièce et sa mise en exposition, plusieurs mois s’écoulent, grâce auxquels l’objet mûrit. Car loin d’être des pièces en série, les œuvres de la céramiste cristallisent une multitude de facteurs « pour moi, le travail de l’atelier est une partie de ma création. En amont, il se passe tellement de choses, la partie immergée de l’iceberg. Il faut vraiment considérer la globalité. » Du modelage au temps de séchage, en passant par le four, la terre contraint autant qu’elle ouvre des portes : « Cette conversation avec la matière me permet de me connecter à elle. Quand arrive le moment du travail de la terre, je sais déjà que l’idée de départ va évoluer. Je fais, j’observe et me réjouis de voir où nous allons arriver. J’accompagne la sculpture en terre crue dans la phase de séchage, la couvrir, l’observer, la découvrir peu à peu… Je lui rends visite un certain nombre de fois sur plusieurs semaines pour surveiller le séchage, je regarde si rien ne craque, fissure, si une zone plus fine qu’une autre ne sèche pas trop vite, pour sécher de manière homogène et sans tensions. Puis elle est sèche et prête à être cuite. Ahhh le four, la cuisson c’est tout un rituel. En le fermant, je me dis que l’attention que j’ai mise à chacune des étapes sera révélée à l’ouverture du four après la cuisson. Quand j’ouvre et que la/les pièces sont là, existent, je suis heureuse de les voir et quand ça casse, je respire et j’exerce à la fois le lâcher-prise et l’acceptation. Lorsque les sculptures partent de l’atelier, je me réjouis (encore!) qu’elles voyagent vers d’autres destinations, d’autres personnes en qui elles feront peut-être surgir des émotions. Je les accompagne jusqu’au cul du camion, j’adore ce moment. Le camion part et je retourne dans l’atelier. »
Vivre son art : une sculpteure à 360°
Du brut au primitif, Léa développe un lien presque corporel avec ses œuvres. Des pièces qu’elle souhaite “millénaires”, dénuées de toute
trace du temps. L’artiste espère autant les extraire d’une quelconque temporalité, façon monolithe de Kubrick, que de laisser libre court aux projections de chacun. « Dire quelles sont mes inspirations précises, ou ce que j’ai voulu représenter restreint le champ d’interprétation du spectateur. Dans ma pratique, je travaille la terre. Point. Elle commence à s’étendre à d’autres matières. J’utilise le mot sculpture, sculpteure. C’est sculpter un langage, un univers, des formes, des matières tout comme des mots ou des images. Mon intention est d’ouvrir les horizons, montrer les possibles avec la matière terre, m’autoriser à envisager ma pratique comme un univers en constante expansion, dans le choix des matières tout comme celui des mots. » Et c’est avec délectation que l’on écoute Léa et sent la passion qui émane avec force de sa bouche. Entre inspirations ésotériques, douceur de vivre et créations, Léa Munsch semble avoir trouvé son triptyque gagnant. Un apaisement que l’on perçoit sous le prisme de son perfectionnisme, en silence s’il vous plaît.