En allumant la radio le lundi 18 janvier 2021, les Français apprenaient deux choses: qu’il s’agissait du Blue Monday (le jour le plus pourri de l’année) et que le Guide Michelin révélerait son palmarès à 12h tapantes.
Dans le 5/7 de France Inter, le directeur international des guides Gwendal Poullennec interrogé par la journaliste Mathilde Munos annonce rapidement la couleur. Il y a eu en 2020 autant de contrôles dans les restaurants que les années précédentes malgré leur fermeture pendant plus de six mois ! La question s’est évidemment posée de savoir s’il était plus judicieux de faire une « année blanche » mais qu’il leur tenait à cœur d’honorer ce rendez-vous, pour « encourager la profession car les cuisiniers de France sont toujours debout. » Du moins pour l’instant.
Pour cette remise des prix qui réunit habituellement la crème de la crème des chefs (600), cheffes (38) et journalistes gastronomiques, le guide a dû s’adapter en diffusant son palmarès sur YouTube et ses réseaux sociaux depuis la Tour Eiffel. C’est la journaliste Sophie Menut-Yovanovitch qui ouvre la cérémonie en s’adressant directement aux principaux intéressés: «La Tour Eiffel construite en 1887 a résisté à tout, comme vous ces derniers mois. (…) Depuis des mois, les restaurateurs se battent au rythme des fermetures et réouvertures de restos. » Très vite, et peut-être parce que sur le chat les commentaires abondent en ce sens, Gwendal Poullennec explique que ce cru 2021, marqué par une crise sans précédent, a été jugé avec sérieux. Les inspecteurs ont visité les restaurants au moins une fois au cours de l’année et aucune décision n’a été prise à la légère. D’ailleurs, les inspecteurs ont même su faire preuve d’indulgence en évitant les contrôles les jours de réouverture, laissant ainsi le temps aux restaurants de se mettre en place.
Si le Guide Rouge a bien visité tous les établissements primés et déclassés, il faut rappeler que seuls les restaurants équipés d’une terrasse ont pu rouvrir leurs portes à partir du 2 juin 2020, avant de pouvoir finalement accueillir la clientèle en salle en respectant quelques règles strictes.
Sous la vidéo du Michelin, on peut lire en commentaire : « L’année a été cruelle avec le secteur, espérons que l’équipe du Michelin sera clémente et ne retirera pas d’étoile exceptionnellement… », « Il eût été de bon ton de décaler la cérémonie à une date ultérieure lorsque les restaurants auraient rouvert (au printemps ?) À l’instar de ce qu’a fait le prix Goncourt qui a attendu la réouverture des librairies. Cette attitude désinvolte montre un vrai décalage avec la réalité du terrain, c’est décevant. »
Si le Guide Rouge a bien visité tous les établissements primés et déclassés, il faut rappeler que seuls les restaurants équipés d’une terrasse ont pu rouvrir leurs portes à partir du 2 juin 2020, avant de pouvoir finalement accueillir la clientèle en salle en respectant quelques règles strictes. Pas de tablées de plus de dix personnes, pas de de tables à moins d’un mètre l’une de l’autre et port du masque obligatoire en salle et en cuisine. Peu de gens connaissent le système de notation opaque du Michelin. Les rétrogradations et pertes d’étoiles peuvent avoir différentes raisons comme un déménagement, un changement de chef ou de concept, voire une fermeture. Jusque là, rien d’anormal sauf que parfois, ces étoiles envolées font penser à des coups de gueule d’inspecteurs grognons et dépassés qui ne comprennent plus les tables qu’ils jugent.
Il y a un an déjà, le guide créait la surprise en reprenant son unique étoile au chef Florent Ladeyn, obtenue en 2014. Pourtant, on sait qu’il y a peu de chefs en France aussi talentueux qui aient à cœur d’inscrire leur cuisine dans une démarche sincèrement vertueuse. Ce dernier s’était alors fendu d’un post sur Instagram expliquant qu’il se sentait con, con de ne pas comprendre et de ne pas savoir comment expliquer cette triste décision à ses équipes.
En faisant le choix d’annoncer une sélection « normale », dans un contexte de crise sanitaire chaotique où les restaurateurs sont contraints d’apprendre au jour le jour au gré de nouvelles mesures gouvernementales, le Michelin s’est distingué par son manque d’empathie et de bienveillance.
Cette année encore de nombreux cuisiniers ont morflé, à commencer par le chef Guillaume Monjuré avec son restaurant Palégrié en Isère, qui avait obtenu sa première étoile en 2017. Perte absolument incompréhensible aux yeux de nombreux professionnels. Arrive le tour de la tête brûlée du classement, Iñaki Aizpitarte, chef du Chateaubriand dans le 11e arrondissement de Paris, maintes fois acclamé par Le Fooding (racheté en octobre dernier par le Guide Rouge). Après lui avoir décerné une étoile qu’il n’a jamais cherchée lors de la remise des prix et n’a jamais affichée à sa devanture, voilà que Michelin rétropédale. Sa présence même au sein du guide avait étonné, tant sa cuisine avant-gardiste et personnelle paraissait être un OVNI dans un palmarès autrement plus codifié. Cet été, le chef et son équipe avaient redoublé d’efforts pour faire face à la crise en vendant tour à tour pan bagnat, sandwich mitraillette et pizzas.
En faisant le choix d’annoncer une sélection « normale », dans un contexte de crise sanitaire chaotique où les restaurateurs sont contraints d’apprendre au jour le jour au gré de nouvelles mesures gouvernementales, le Michelin s’est distingué par son manque d’empathie et de bienveillance. Voire, de méconnaissance du métier de ceux qui font son beurre. Plusieurs fédérations professionnelles annoncent que 30 à 40 % des restaurants pourraient ne jamais rouvrir leurs portes. Une situation catastrophique à priori moins visible depuis le troisième étage de la Tour Eiffel.