Passeport, check. Billets d’avion, check. Réservation de la voiture de location, check. Embarquement immédiat pour Denver, dans le Colorado. Le voyage sera long, plus de quinze heures de vol. L’Ouest Américain se mérite. «Avec ma compagne nous avions prévu notre road trip sur trente jours en empaquetant le strict nécessaire», se remémore Arnaud Devillard. Tente, matelas gonflable, duvet, lampes torches, voilà nos deux promeneurs parés pour l’aventure. Leur périple sera marqué par les étapes incontournables de tout globe-trotteur souhaitant vivre le grand frisson. À deux, ils s’enfoncent progressivement dans la nature des parcs nationaux. Grand Teton, Yellowstone, glacier…
« Les paysages alternant chaînes montagneuses qui jaillissent des plaines, grandes vallées et collines pelées étaient saisissants de beauté. En empruntant une route à flanc de montagne dans le Montana, j’ai eu comme une impression de déjà-vu. Ce lac, cette île au milieu, nous étions sur Going-to-the-Sun-road où a été tournée la scène d’ouverture du film Shining de Kubrick. Grand amateur de cinéma, j’étais comme un fou». En direction du nord, la tension monte dans la voiture. Un premier panneau leur signale la présence d’ours, «Be bear aware».
Nous étions loin d’imaginer ce que l’on s’apprêtait à vivre. Vu le nombre de touristes affluant chaque année ici, nous pensions être hors de danger. Une fois arrivés à Grand Teton, la peur de tomber nez à nez avec un ours devenait une obsession.
Arnaud Devillard
Celui qu’ils redoutent le plus, c’est le grizzly. Si son empreinte évoque celle d’un pied humain comme l’écrivait Arnaud dans son livre, le parallèle s’arrête ici. Tous le savent, si vous en croisez un, il y a peu de chance que vous ayez le temps de retomber sur vos pattes. «On pensait être parés à tout, mais l’éventualité de finir en amuse-gueule pendant notre séjour nous réjouissait moyen. Nous avons donc demandé conseil à des rangers afin d’avoir les bons gestes de sécurité en cas de rencontre fortuite. Sur leur porte était affichée une liste longue comme le bras d’animaux sauvages aperçus dans la journée sur les sentiers de randonnée, les routes, et les parkings. Les consignes étaient strictes, pas de nourriture en dehors de contenants hermétiques ou toute autre chose odorante pouvant attirer le prédateur. Pas même une chaussette sale négligemment laissée sous une tente. Un bon trekker nous disent-ils, ne se sépare jamais de sa bombe à poivre dont juste le bruit de l’attache en velcro suffirait à effrayer un ours. J’ai le souvenir de deux rangers qui se moquaient d’un touriste ayant pris tout le jet de sa bombe en plein visage à cause du vent ou d’autres se trimballant avec des clochettes accrochées à leur attirail pour les éloigner. Pour nous c’était du flan! ».
Dans le doute, ils finissent par acquérir leur arme de survie qui deviendra leur troisième compagnon de route. Au fil des jours, l’atmosphère devient vite pesante. « Plus nous avancions, plus les touristes étaient excités, nous conseillaient d’emprunter tel chemin où il avaient vu une famille d’ours bruns. D’autres nous brandissaient fièrement leurs clichés pris devant des troupeaux de bisons, et ce malgré les recommandations des autorités déconseillant de s’approcher trop près. Des embouteillages de centaines de voitures se créaient autour d’un wapiti, d’une biche, c’était ahurissant. Tous rêvaient de repartir avec leur photo de grand traqueur. De notre côté, plus loin nous étions de toute cette horde, mieux nous nous portions. La simple tête d’un élan envahissant toute la fenêtre de notre véhicule côté conducteur nous avait calmé ».
La bearanoia ne les quitte pas, tout comme ce vif souvenir du crissement de feuilles mortes sous les pas d’un animal non identifié rodant autour de leur tente
Lorsque le soleil achève sa course dans le ciel, l’agitation laisse place à la torpeur crépusculaire. Seul l’écho des hurlements de coyotes dans les rocheuses vient rompre de temps à autre le silence assourdissant des nuits noires — comme pour leur rappeler que le danger n’est jamais bien loin. La bearanoia (néologisme né de la contraction entre les mots anglais bear et paranoia dans son livre, ndlr ) ne les quitte pas, tout comme ce vif souvenir du crissement de feuilles mortes sous les pas d’un animal non identifié rodant autour de leur tente. «Le lendemain, nous apprenions qu’un groupe de campeurs s’était fait attaquer par un ours dans la nuit », dit-il. « Un soir, alors que nous repartions en direction de notre campement, je crus en apercevoir un dans les branchages sur le bas côté de la route. Nous nous sommes arrêtés pour sortir de la voiture et nous approcher de plus près. Je serai incapable de vous décrire le sentiment qui s’est emparé de moi à cet instant. Le temps s’était suspendu. Juste là, face à nous, un grizzly, majestueux. Le premier que nous avions rencontré de tout notre séjour. La couleur miel de son pelage se fondait dans les fougères. C’était juste beau. En retournant à notre véhicule, plus d’une dizaines de voitures s’étaient garées derrière nous. Appareil photo, portable à la main, tous s’étaient immobilisés pour avoir la chance de capturer ce moment. À notre tour, nous avions créé notre bearjam» un embouteillage causé par un ours, ndlr.