Des frissons parcourent sa nuque. Quelques secondes seulement après son arrivée à la ferme de Stonehill, Rochelle Billow a une certitude: sa vie est sur le point de basculer. Bien qu’elle s’amuse à dire le contraire, ce n’est pas l’odeur du fumier qui la conduit dans cette ferme mais ses œufs délicieux et son lait cru. Journaliste indépendante diplômée d’une école de cuisine américaine, Rochelle rêve de devenir auteure culinaire. À l’époque, sa carrière peine à décoller et un journal local lui demande de dresser la liste des meilleurs produits que l’on trouve autour de Syracuse, dans l’Etat deNew York. Sur les conseils d’une amie, elle se rend à Stonehill.
Nous sommes au début du printemps. Sous le charme de ce lieu unique, Rochelle demande à Cliff, le gérant de la ferme, d’y travailler bénévolement pendant une journée. Au grand air, elle déplace des bottes de foin, nourrit les cochons et brosse les chevaux. Elle s’y sent à sa place et la présence d’Ian, l’un des agriculteurs, la bouleverse. Ses cheveux blonds hirsutes, ses lèvres rose pâle et les taches de rousseur sur le bout de son nez la séduisent immédiatement. Ils font connaissance et échangent leurs adresses emails. Quelques jours plus tard, Rochelle reçoit un message de sa part: son cœur bondit dans sa poitrine. Un vendredi soir, elle ose l’inviter au cinéma. La soirée se passe bien, Ian l’embrasse. Décidée à ne pas brusquer les choses, Rochelle rentre chez elle… et revient le lendemain puis le jour d’après. À 26 ans, la jeune femme s’investit toujours pleinement dans tout ce qu’elle entreprend. Sa soif permanente de nouveauté est d’ailleurs, pour ses amis, sa plus grande qualité et le pire de ses défauts. Quelques semaines plus tard, elle s’installe dans la chambre d’Ian, à Stonehill. Au début, leur histoire est excitante : Rochelle se sent vivante. « J’étais tellement focalisée sur le travail de la ferme et sur Ian qu’à la fin de la journée, il me restait très peu de temps pour écrire des piges »- se souvient-elle. Pendant un an, sa principale mission est plutôt celle d’une cheffe à domicile. À chaque repas, l’équipe déguste ses pots de crème au sirop d’érable, son poulet mariné à la menthe, son gratin de tomates ou ses œufs brouillés aux blettes… Au printemps et en été, les bons produits abondent dans sa cuisine. « On mangeait des tomates jusqu’à en devenir rouge, et du poulet qu’on élevait en plein air. » L’hiver, le manque de verdure se fait ressentir alors, l’été, les agriculteurs ne jurent que par les légumes verts : « il nous arrivait même de prendre de la salade au petit déjeuner ». Les chaudes nuits d’été, toute l’équipe déguste les plats de Rochelle sur la terrasse. La jeune femme savoure particulièrement ces moments de repos après les dures journées.
Le travail à la ferme était un défi que je pouvais surmonter. En travaillant plus dur, je finissais par réussir à soulever un outil et à être assez rapide pour récolter les légumes.
Rochelle Billow
Peu à peu, sa peur de mal faire s’envole. Curieuse de tout, elle s’acharne jusqu’à surmonter tous les obstacles sur son passage. Lors de son premier jour à la ferme, Rochelle dévore le beurre maison. À Stonehill, on adore en étaler sur les biscuits ou le savourer dans des pâtes à la sauce tomate. Intimidée mais intriguée par le défi, la jeune femme décide de se lancer dans la confection du beurre. Elle a la main lourde sur la crème: le robot déborde. Rochelle finit la préparation tant bien que mal mais, une fois à table, le résultat est accueilli par des moues. « Est-ce que tu as pensé à rincer le beurre ? Il faut se débarrasser des résidus de babeurre sinon le goût est bizarre et ça se conserve mal » explique Ian. La seconde fois, la crème n’épaissit pas. Un échec selon la jeune femme. La troisième tentative est la bonne : Rochelle réussit à faire du beurre maison. Une petite victoire qui égaye des moments plus éprouvants. Car le rythme de sa vie d’agricultrice est difficile à tenir. Au mois de septembre, elle est épuisée. Comme depuis le début de l’été, elle déplace les bœufs, aide aux récoltes, aux plantations, nourrit les porcs et fait du foin. Pour préparer l’hiver, elle doit aussi faire de la place dans les chambres froides, nettoyer et stocker les légumes racines. Dans ces moments-là, elle en a assez de la ferme. D’autant plus que sa relation avec Ian finit par user ses forces. Malgré des gestes attentionnés de temps à autre – un diner aux chandelles dans leur chambre, un petit déjeuner au lit, en week-end chez ses parents – Ian reste très distant. Très amoureuse, Rochelle est confrontée à un homme qui botte en touche dès qu’elle lui parle de ses sentiments. À plusieurs reprises, Ian lui avoue que l’amour qu’elle lui porte est si fort qu’il l’effraie. S’il aime être avec elle, il doute que leur relation ait un avenir. « Je faisais de mon mieux en espérant que ça marche mais je ne pouvais pas lutter. »-regrette-t’elle.
Arrivée à Stonehill au début du printemps, elle en repart à la fin du printemps l’année suivante. Après un tel investissement, la séparation est difficile pour Rochelle. Elle envisage de raconter son histoire dans un livre, plein de tendresse – et de recettes alléchantes. Rochelle vit désormais à Brooklyn où elle écrit pour la revue Bon Appétit. La sortie de The Call of farm est une expérience exaltante pour elle. La journaliste n’a pas perdu l’enthousiasme qui la rend si attachante dans le livre. Dans un coin de sa tête, elle a déjà le projet d’un prochain ouvrage de cuisine autour de ses deux ingrédients fétiches : le beurre et le lard. « Ma vie à New York est très épanouissante mais la ferme me manque. » Le travail au grand air, l’exercice, les animaux, les produits frais lui faisaient un bien fou. Elle continue, cependant, à cuisiner des bons légumes et de la viande qui n’a pas été nourrie aux hormones. « J’ai très envie de retourner vivre à la campagne et de cultiver mes propres légumes. Peut-être même que j’achèterai une vache laitière. » En attendant, elle se contente de rêver aux tomates bien mûres de la ferme de Stonehill…