La bouffe cosmique

De la viande en tube aux plats gastronomiques d’Alain Ducasse, la nourriture de l’espace a fait du chemin. Pour le plus grand plaisir des astronautes.

1962, dans la minuscule capsule spatiale Mercury, quelque part au-dessus du Nigéria. C’est l’heure du déjeuner et l’américain John Glenn déguste le tout premier repas extra-terrestre. Pas besoin de couverts ou d’assiette, le festin (de la purée de bœuf à la sauce aux pommes) tient dans un tube. En 2016, on est à des années lumière de ce plat : les astronautes peuvent désormais être de fins gourmets. Flashback.

Bien manger à des centaines de kilomètres au-dessus de la terre est loin d’être facile. D’abord parce que la cuisine cosmique est soumise à des impératifs : la nourriture ne doit pas prendre beaucoup de place et, en raison de l’apesanteur, la nourriture friable est aussi à proscrire. En 1965, l’astronaute Gus Grissom, un peu rebelle, avait rapporté un sandwich au corned-beef en secret à bord de Gemini 3. Les miettes qui se sont mises à flotter autour de lui dès la première bouchée l’ont rapidement trahi. « Dommage, ça aurait été bon si ça ne s’émiettait pas autant !« , s’était alors attristé Gus.

Avant cette première mission spatiale, une interrogation restait sans réponse : notre système digestif fonctionne t-il dans l’espace ? Heureusement, oui. La gravité n’est pour rien dans la digestion : en apesanteur, les muscles de la gorge font tout le travail et les astronautes n’ont donc pas de soucis à se faire. Dans les années 1970, les séjours dans le cosmos se sont multipliés avec le programme Skylab et les scientifiques se sont inquiétés des problèmes nutritionnels que pourraient rencontrer les spationautes. À l’inverse des autres stations spatiales, Skylab, lancée par la NASA, disposait d’un réfrigérateur et d’ustensiles de préparation. Comme à la maison, chaque repas était servi à table dans une salle centrale, avec vue sur la terre. De quoi créer l’impression d’un foyer chaleureux.

Manque de chance pour les astronautes, dans les années 1980 les plats contenus dans des pochettes en plastique ont signé la fin du réfrigérateur et de la salle à manger spatiale. Trente ans plus tard, en 2011, le programme des navettes spatiales a pris fin. Pour manger dans l’espace désormais, une seule adresse : la Station Spatiale Internationale (ISS).

Tous les trois mois, un vaisseau livre des fruits frais, de l’eau et des plats cuisinés à la station spatiale internationale. Cette nourriture, stockée à température ambiante, peut prendre plusieurs formes. On trouve pêle-mêle les aliments déshydratés à passer sous l’eau chaude, les aliments thermostabilisés en boîtes comme le thon et les rillettes, les aliments séchés, les produits immédiatement consommables comme les céréales et les M&Ms, les viandes cuites et stérilisées, et les condiments comme le ketchup. Un four est à la disposition des membres d’équipage. Le sel et le poivre sont sous forme liquide pour éviter qu’il n’y en ait partout. Les fruits frais, eux, ont une durée de vie de seulement deux jours ; au-delà, ils pourrissent.

À bord de l’ISS, les repas sont fournis à moitié par les Russes et à moitié par les Américains. Bonjour le bortsch et le poisson en gelée ! Pour améliorer sensiblement la qualité des repas des spationautes, la NASA travaille dur. Chaque jour, les astronautes mangent trois repas : macaronis au fromage, spaghettis, oeufs brouillés, brownies ou pourquoi pas sushis pour le japonais Soichi Noguchi. Christer Fuglesang, premier Suédois à aller dans l’espace, a tenu à amener de l’élan séché pour le repas de Noël, après qu’on lui ait interdit d’emporter du renne séché. Quant au commandant de la station spatiale internationale Chris Hadfield, il s’est récemment préparé des tacos au miel et des crevettes pour l’apéro.

Les jours de fête, Alain Ducasse livre des bons petits plats depuis dix ans, en collaboration avec l’Agence spatiale française. Au menu pour l’anniversaire d’un astronaute, des suprêmes de volaille et des légumes sautés façon thaï. Pour une autre occasion, ce sera épaule d’agneau confit à la sauge et aux tomates, homard breton au citron, noix de Saint-Jacques, boeuf bourguignon, filet de maigre et purée, gâteau au chocolat et cheesecake. En tout, une trentaine de recettes ont été développées par le chef étoilé. En 2006, il racontait qu’un spationaute qui avait goûté ses plats lui avait dit que « les astronautes trouvaient là un moyen de garder le contact avec la Terre. » L’idée ? Proposer des plats familiaux qui remonteront le moral des troupes coupées du monde. À noter que les assaisonnements sont modifiés car la langue ressent les goûts différemment dans l’espace. Marsha Ivins, astronaute américaine, a voulu savourer du chocolat noir à bord de l’ISS et le plaisir a été moindre puisqu’elle a eu l’impression de manger de la cire. À l’inverse, beaucoup de cosmonautes se découvrent une passion pour la sauce piquante et les piments quand ils sont en apesanteur.

La NASA ne compte pas s’arrêter là. Dans les années qui viennent, elle souhaite pouvoir imprimer des pizzas en 3D. Elle a aussi lancé le projet « Veggie », consacré au développement de potagers de l’espace. Les plantes choisies doivent être super-productives : exit le maïs ! Poivrons nains, tomates et prunes naines pourraient bientôt pousser à 400 kilomètres du sol. En août 2015, trois cosmonautes chanceux ont d’ailleurs goûté à la première laitue romaine extra-terrestre. Cultivée en microgravité pendant trente-trois jours dans une boîte, elle a fait naître avec elle l’espoir d’une culture vivrière loin de la Terre. « Une petite bouchée pour l’homme mais un grand saut pour la NASA et notre voyage vers Mars » a écrit Scott Kelly, l’un des trois goûteurs de la salade. Ces aliments frais apporteraient non seulement un supplément nutritif conséquent mais remonteraient aussi le moral des membres d’équipage, loin de la Terre, et soumis à un stress important.

Comme Mark Whitney, joué par Matt Damon dans le film « Seul sur Mars », qui a planté des pommes de terre pour se nourrir, les astronautes qui se rendront un jour sur la planète rouge devront diversifier les récoltes et cultiver des haricots et des patates douces. La NASA prévoit d’ouvrir une serre sur Mars en 2021. Mais avant la première mission de l’homme par l’agence spatiale dans les années 2030, une colonie humaine du nom de « Mars One » occupera la planète rouge dès 2026. Compter sur des fusées de ravitaillement serait bien trop coûteux : les nouveaux martiens devront donc produire eux-mêmes leur nourriture. Ils devront notamment élever des insectes pour les manger et se nourrir d’algues. Nous, on préfère attendre qu’Alain Ducasse livre aussi sur Mars pour nous y aventurer !

 

Journaliste
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Hélène Rocco
Hélène est journaliste lifestyle. Amoureuse des voyages, elle est aussi accro à la bonne cuisine et donnerait sa mère pour du fromage de brebis.
Illustratrice
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Lisa Laubreaux
Lisa est illustratrice et travaille depuis l'atelier Fonta Fonta à Paris. Elle réalise des illustrations, des installations et des ateliers participatifs. Le plus souvent elle réalise ses illustrations à la ligne claire, sans repentir.

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