Obscène, pornographique, licencieux, éproctophile (oui, oui) … La Grande Bouffe, le long-métrage de Marco Ferreri projeté en compétition officielle au Festival de Cannes en 1973, a laissé la critique divisée et un tantinet estomaquée. Il faut dire que le scénario est cocasse : quatre quadra décident d’en finir avec la vie grâce à une technique peu commune : manger à en mourir d’indigestion. Une grande bouffe létale donc, qui n’est pas au goût de tous les spectateurs qui y voient beaucoup trop de décadence et de vulgarité. Philippe Noiret, qui fait partie des têtes d’affiche, défend bec et ongles son film et déclare en marge du Festival : « Nous baignons dans la vulgarité, aussi bien à Cannes qu’a la télévision française ! » Mmm … 1973 vous dîtes ?
La teneur truculente et provocatrice du film est un message sans détours du réalisateur italien : il dénonce les affres d’une société de surconsommation qui part à la dérive. « On commence à parler d’un petit groupe de gens qui bouffent beaucoup dans une société où 90% de la population ne bouffent rien. Je fais du cinéma pour les gens qui bouffent tout, qu’ils se regardent dedans comme dans un miroir. C’est l’esprit qui est bouffé dans cette société ». Une métaphore qu’il explicite au micro d’un journaliste à Cannes, particulièrement troublante et percutante, tant elle fait écho à l’actualité 50 ans plus tard.
La Grande Bouffe tient lieu de film « d’éveil » comme le déclare sur le même plateau Michel Piccoli, également au casting. « Oui, pour se réveiller, pour voir comment certaines personnes vivent et comment elles pourraient vivre autrement ». Un discours toujours aussi parlant qui a fini par trouver son public. Le film le plus scandaleux de la Croisette a tout de même réuni 2,5 millions de spectateurs et remporté le prix de la critique internationale.
» C’est le spectacle à la fois répugnant et magistral de la consommation, de la pollution. L’image la plus exacte de ce que représentent les nations dites « civilisées » de la fin du XXe siècle s’exclame le critique et écrivain Jean-Louis Bory, à propos de ce film gargantuesque qui l’a totalement conquis. Des nations repues, gavées qui provoquent des déchets, et nous serons tués par ces déchets. »
À bon entendeur pour un (re)visionnage éclairé …