Installé sous les arcades, le fondateur de Perseus, Valéry Grégo, zoome des deux doigts dans une photo. Face à une fenêtre, Marie- Chantal Geoffroy, supérieure du monastère de la Visitation à Voiron dans l’Isère, fait face à une fenêtre d’où parvient un halo de lumière. Sur une autre photo, elle a entre ses mains un exemplaire du journal Nice matin dont Valéry tient la une, « Elle a dit « je sais qui vous êtes ! » puis nous a parlé de son temps passé à Nice, c’est ici-même qu’elle a pris l’habit à l’âge de 18 ans, elle en a 93 aujourd’hui. » Aux abords du cloître était érigé un mur parsemé de trous qui permettait aux sœurs de prendre le pouls de la ville. Marie-Chantal lui dresse le portrait d’une vie simple et tournée vers la nature, elle lui raconte aussi une vie coupée du monde.
Valery souhaite conserver cet état d’esprit propice à la lenteur et à la réflexion « un lieu spirituel, mais sans la foi, » résume-t-il. Ainsi ce dernier s’est entouré d’une équipe de spécialistes avec le cabinet d’architecture Festen mené par Hugo Sauzay et Charlotte de Tonnac, le studio Méditerranée fondé par son frère Louis-Antoine Grégo, l’atelier créatif Saint-Lazare avec Antoine Ricardou et Virginie Boulenger, mais aussi l’architecte-paysagiste de renom Tom Stuart-Smith, et le maraîcher Avit Ghibaudo. « Le plus excitant pour moi, c’est cette ambiance de colonie de vacances, travailler avec des gens que j’aime. Certains m’accompagnent depuis 20 ans, » ajoute-t-il.
L’important c’est le bon sens, quand les soeurs du couvent cuisinent, ce n’est pas un acte militant ou de l’éco-poésie. Quand il y a trop de tomates, elles font des conserves qui serviront durant l’hiver. Quand les abricots se récoltent à foison, on fait des confitures.
Valéry Grégo
L’hôtel du Couvent s’inscrit dans une nouvelle ère, à mi-chemin entre l’hôtellerie, la retraite spirituelle et le village autonome. Depuis le mois d’août, un marché s’installe chaque samedi sous les orangers du patio avec une vingtaine de producteurs locaux et des produits de leur ferme à Touët-sur-Var, où l’hôtel organise aussi des expériences pour ses clients. Les produits récoltés par l’équipe d’Avit sont utilisés dans les trois restaurants du groupe à l’instar de la Guinguette, du restaurant gastronomique et du Bistrot des Serruriers. Une façon pour Valéry d’insuffler du bon sens dans un secteur qui fait souvent fi des saisons tout en versant dans le greenwashing, « L’important c’est le bon sens, quand les soeurs du couvent cuisinent, ce n’est pas un acte militant ou de l’éco-poésie. Quand il y a trop de tomates, elles font des conserves qui serviront durant l’hiver. Quand les abricots se récoltent à foison, on fait des confitures. »
Si Valéry souhaite célébrer le patrimoine culinaire de Nice, il ne tient pas pour autant à proposer une cuisine niçoise, « Je ne veux pas enfermer nos restaurants dans de lourds carcans qui nous obligeraient à faire une pissaladière comme on l’instruit dans la cuisine nissarde. Je veux qu’on puisse faire ce qu’on veut. On fait du mieux qu’on peut, on ne réussit pas tout : quand c’est trop cher ou trop difficile, parfois on laisse tomber. On a créé une narration qui va forcément se frotter au réel et il faudra toujours s’adapter. » En choisissant de proposer une carte de vins exclusivement naturels, l’équipe pourrait toutefois faire face à quelques déconvenues auprès d’une clientèle habituée à une vision du luxe plus standardisée.
Au mois de juin, les premiers clients à poser leurs valises au Couvent venaient de Taiwan. C’est dire si la nouvelle s’est propagée au-delà du Vieux-Nice. Depuis l’ouverture, les riverains et les curieux passent timidement l’imposante entrée de l’hôtel pour observer le résultat de sept ans de travaux. Pour certains, ces nuisances ont laissé un goût amer «Il y a peut-être des voisins qui me détestent et d’autres qui m’adorent… Moi aussi je me détesterais si j’avais eu du bruit et de la poussière pendant 3 ans ! » Malgré quelques dissonances qui s’expliquent par une ouverture hâtive et une phase de rodage nécessaire, un spécialiste
de l’hôtellerie nous confiait que l’Hôtel du Couvent serait sans doute un modèle étudié dans les écoles d’hôtellerie. Depuis quelques semaines, les niçois peuvent déambuler dans les espaces communs avec notamment ses trois restaurants (un bistrot, une guinguette et un restaurant gastronomique), sa boulangerie, mais aussi son herboristerie, son potager perché sur la restanque, et son centre de documentation dédié aux artistes de l’école de Nice mais aussi à l’art et à la religion. Par ses choix, Valéry Gréco redéfinit sans conteste les plaisirs conventionnels et une certaine idée du luxe tout en faisant du recueillement la lingua franca de l’Hôtel du Couvent.