Good morning apocalypse
Texte : Déborah Pham
Photos & sets : Paris se quema
On n’entend que le « flap, flap » régulier des pales puis c’est le silence. Le bourdonnement des hélicoptères a remplacé le roucoulement rassurant des pigeons qui nichaient sous les combles. Jamais on n’aurait pensé que le silence pouvait être aussi lourd. On ne pensait pas non plus que la terre sous nos pieds allait s’assécher, s’effriter et que tout ce qui poussait finirait par dépérir. Finalement, on s’est toujours imaginé l’agitation, les cris, et le bruit strident du passage des avions de chasse, comme dans les films. On ne s’est jamais demandé ce qu’il adviendrait sans la terre, la mer et le ciel. À vrai dire, on a toujours pensé que l’on finirait par observer le chaos de là-haut, qu’on abandonnerait ce monde avant d’être témoin de sa fin. Mais voilà, l’apocalypse vient de frapper à nos portes.
Les gens ont toujours eu un goût démesuré pour les scénarios catastrophes, les films de zombies, les survivalistes et leurs abris anti-atomiques remplis de bouffe… Pour nous, ça a commencé avec le film Zombie de George A. Romero. Surtout avec cette scène où les personnages se retrouvent dans un centre commercial avec tout ce dont ils ont besoin pour survivre pendant des mois. C’est pour ça qu’on se disait que si l’on devait s’acheminer vers l’inexorable ruine, on filerait se barricader chez Monop’. Hélas tout ça, c’était avant de comprendre que toutes les personnes mal renseignées avaient le même plan. Sans compter que l’on sait déjà ce dont les gens sont capables pour un pot de Nutella en promotion. Mais le constat est le suivant : un peu partout dans le monde, des gens se préparent au pire. Le pire prend toutes sortes de formes et sans forcément penser à une attaque de mutants, il y a le risque de pandémie mondiale, d’attaque cyber-terroriste, d’un ouragan, d’une crise économique sans précédent ou tout simplement cette petite graine qui germe dans l’esprit de chacun : à force de faire n’importe quoi, on finira bien par flinguer la planète pour de bon.
Pour sauver leur peau, les gens s’organisent en famille ou en petites communautés. Certains se réunissent même à la Survival Expo Autonomy & Outdoor qui se tient à Porte de Versailles depuis deux ans. À cette occasion, des exposants se réunissent autour du thème de la survie. Pêle-mêle, on y trouve sacs à dos étanches, lampes frontales, et filtres à eau capables d’éliminer bactéries, virus et métaux lourds. Nous rencontrons John Herbet-Karlsson, cofondateur du salon, qui nous explique que ce qui l’a attiré dans cette aventure, c’est avant tout son goût pour la chasse, la pêche et l’artisanat. Il était important pour lui de changer notre perception de ce mode de vie : « Les gens ont souvent une mauvaise image du survivalisme, surtout à cause des Américains car on nous montre des mecs qui s’équipent, ils sont armés jusqu’aux dents et ils ont des bunkers… Il faut comprendre que le survivalisme c’est plein de choses, il n’y a pas de profil type. Cela regroupe des gens qui aiment la nature et la randonnée, d’autres qui souhaitent être autonomes, moins dépendants des grandes entreprises mais aussi des militaires pour qui la survie fait partie du métier. » Être survivaliste, c’est se préparer constamment au pire d’une certaine manière : « En France, on vit chaque année des inondations gravissimes, d’ailleurs nous vendons sur notre salon des systèmes permettant aux maisons de ne pas être immergées. Il y a aussi des ateliers de permaculture, des conseils pour installer son poulailler… Les visiteurs qui viennent sur notre salon sont très instruits, en toute franchise c’est même des gros geeks, je vous parle de types qui s’intéressent aux éoliennes et vont jusqu’à apprendre à les fabriquer eux-mêmes. La recherche d’autonomie est un sujet central chez les survivalistes. »
Ce qui nous intéresse, c’est surtout de savoir ce qu’on va pouvoir se mettre sous la dent. La marque Jimini’s participe au salon où elle propose toute sa gamme d’insectes grillés, ainsi que des pâtes à la farine d’insectes particulièrement riches en protéines. Au menu : grillons saveur oignon fumé et bbq, criquet à la grecque mais aussi quelques douceurs comme les vers de farine saveur caramel au beurre salé, « pour varier les plaisirs lors des longues soirées d’hiver ou lors de brunchs ». Sur leur site, un client s’exclame « Extra, un vrai goût de Bretagne en bouche ! » La marque Jimini’s projette à long terme d’intégrer peu à peu les insectes à notre alimentation puisqu’ils représentent un avantage nutritionnel et environnemental indéniables. En tout cas sur place, on se régale des viandes fondantes préparées au barbecue chez Melt, autant cueillir la rose et ne pas se priver tant qu’il est encore temps.
Finalement avec tout ça, pas de quoi remplir son frigo. En effet, il va falloir apprendre à survivre sans compter sur l’épicier du coin. Les conférences sur la résilience alimentaire sont de plus en plus nombreuses, on se rend compte que la frange pacifiste des survivalistes cherche plutôt à s’organiser entre voisins d’immeuble ou entre amis car il est selon eux possible de s’entraider. Il semblerait cependant que la majorité des collapsionistes soit intimement convaincue qu’il n’y a aucune chance pour que dans une situation chaotique on puisse simplement frapper chez la voisine du dessus pour qu’elle nous dépanne d’une boîte de ravioli.
Vous êtes-vous déjà demandé combien de temps vous pourriez survivre avec ce que vous avez dans vos placards ? Sans électricité ni eau courante ? De nombreux acteurs du survivalisme dispensent leurs conseils sur leur chaîne Youtube. Hélas, la plupart préfère rester discrète : quand on est convaincu que la société va s’effondrer, il y a peu de chances pour qu’on soit loquace sur sa localisation ou celle de sa réserve de nourriture. Chacun pour soi. Sur la chaîne de Vol West, un survivaliste qui vit dans le Montana aux Etats-Unis, on apprend concrètement ce qu’est la résilience alimentaire, à savoir comment se débrouiller en temps de troubles. Lors d’un live, l’abonné Balistique69 l’interroge : « En cas de mauvaise récolte, as-tu un plan B ? », ce dernier s’amuse et précise : « Avec la résilience alimentaire j’ai non seulement un plan B mais un C, D et E, j’ai plein de plans ! » En effet, défendre sa famille et mettre à manger sur la table sont au coeur de sa démarche puisqu’il explique avoir un potager, une serre, des ruches, et des arbres fruitiers sur sa BAD (Base Autonome Durable, ndlr). Il possède aussi suffisamment de nourriture pour nourrir sa famille pendant un an, sans compter la pêche, la chasse et la cueillette. Ces derniers points sont au coeur de la philosophie des survivalistes et s’accompagnent du bushcraft ou « l’art de vivre dans les bois » qui renvoie à des compétences comme faire un feu, pister des animaux sauvages, construire un abri et même apprendre à fabriquer ses outils. De plus en plus, ces stages se multiplient, on apprend à sculpter le bois ou à reconnaître les plantes comestibles et médicinales. On garde d’ailleurs à l’esprit qu’en cas de bouleversement, comme nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, il y a peu de chance pour que nous puissions passer à table trois fois par jour.
Juste après le Brexit au Royaume-Uni, le propriétaire d’un magasin survivaliste a vu son chiffre d’affaires augmenter de plus de 30%. Dans ses rayons on trouve de quoi s’abriter, se protéger et se nourrir. La nourriture de survie prend souvent une forme lyophilisée : en 1937, Nestlé a été le premier à utiliser la technologie industrielle pour créer le café lyophilisé. Dès les années 1960, les militaires américains embarquaient pour le Vietnam avec des rations alimentaires sous forme de poudre. La marque Katadyn group propose aujourd’hui des formats plus appétissants comme la « poêlée de pommes de terre aux oignons » ou le « boeuf sauce chasseur et pâtes », à nouveau il s’agit d’un format initialement dédié aux troupes militaires.
En se promenant sur la toile, on découvre des méthodes étonnantes comme celle de ce père de famille qui a choisi d’enterrer des tupperwares contenant des amandes et des noix dans son jardin et un peu partout dans sa ville. Il est le seul à connaître leur emplacement. Outre-Atlantique, il y a une myriade d’exemples plus ou moins extrêmes et l’on est souvent amené à se demander s’il s’agit de préparation ou de paranoïa. Nous avons découvert le blog de The Survival Mom, une Texane installée au Nouveau-Mexique avec sa famille. Dans ses placards des stocks de nourritures qu’elle perçoit presque comme une assurance-vie : des pâtes, des conserves, du sucre et du sel mais aussi des mets plus inattendus : des pâtes au fromage. Elle explique : « En temps de crise, la nourriture peut être quelque chose d’extrêmement réconfortant et c’est pourquoi je veux pouvoir faire des mac’n’cheese à mes enfants, la plupart vous diront que si la fin du monde est là, il faudra se contenter du minimum et que nous devrons faire des sacrifices. Ces gens-là ne se mettent pas à la place des enfants et n’ont jamais connu les colères qui résultent du fait d’avoir dit non, d’ailleurs. Actuellement, nos réserves de nourritures et nos modes de vie peuvent paraître saugrenus, mais nous sommes prêts et le choc sera peut-être moins difficile. »