Fabriquée depuis plus de deux siècles par la distillerie Meunier en Isère cette liqueur équilibrée réserve de délicieuses surprises. Rencontre avec Edouard Modelski qui entend faire briller son héritage familial.
Aussi appelé armoise des glaciers, le génépi est d’abord une plante médicinale consommée sous forme d’infusion pour soigner les problèmes digestifs, la fièvre ou le froid.
Au milieu du mois de juin, en bordure du parc naturel de la Vanoise, le génépi fleurit allègrement à plus de 1500 mètres d’altitude. Sur ces terres savoyardes, les quelque 7000 plants en culture de la distillerie Meunier viennent tout juste d’éclore. Pour Edouard Modelski, à la tête de l’affaire familiale, il est temps de cueillir le précieux sésame. Il explique : « Certains préfèrent se concentrer sur le rendement et attendre l’apogée de la floraison en août, car les brins sont plus hauts et le poids de la récolte est alors plus conséquent. Pourtant, en juin, la concentration d’huile essentielle dans la fleur est idéale. » Petit-fils d’Eugène Modelski qui a racheté l’entreprise en 1974 après avoir travaillé à la distillerie Chartreuse, Edouard sait de quoi il parle : il a grandi avec le génépi.
Le goût singulier des sommets
Afin de comprendre l’histoire de cette liqueur de haute montagne, il faut remonter au Moyen-Âge. Aussi appelé armoise des glaciers, le génépi est d’abord une plante médicinale consommée sous forme d’infusion pour soigner les problèmes digestifs, la fièvre ou le froid. Classée dans la catégorie des liqueurs de plantes au même titre que la Chartreuse ou l’absinthe, l’invention de la liqueur de génépi est pour sa part attribuée à Charles Meunier. « C’était un passionné de botanique qui s’intéressait aux vertus aromatiques de cette plante, nous éclaire Edouard Modelski. Ses notes miellées, herbacées et florales lui ont plu : il a donc entrepris de le distiller. » Le distillat, alcoolisé entre 85 et 90° en sortie d’alambic, est surtout très concentré en arômes. En y ajoutant une dizaine d’autres plantes aromatiques, Charles Meunier parvient à obtenir un breuvage fin et équilibré. Basilic, thym, origan… On devine quelques-unes de ces herbes mystérieuses à la dégustation mais le gérant de la distillerie n’en dira pas plus ; la recette originelle est un secret bien gardé. Depuis le rachat de la maison par la famille Modelski au milieu du XXe siècle, la distillerie Meunier n’a jamais cessé de produire du génépi.
« Dans les années 1980, mon père a profité de l’essor du tourisme et des sports d’hiver pour populariser cette liqueur de plantes », se souvient Edouard. Depuis, sa réputation de boisson préférée des skieurs n’est plus à faire ; il ne faudrait pas, pour autant, la réduire à cette seule activité saisonnière. Voilà ce à quoi le gérant de la distillerie Meunier œuvre depuis qu’il a succédé à son père en 2019. S’il cultive toujours la tradition, il tient à opérer quelques changements. « Quand je suis arrivé, il y a eu des problèmes d’approvisionnement car très peu dagriculteurs cultivent le génépi en France. On a dû se tourner temporairement vers des coopératives agricoles mais on préfère se réapproprier notre terroir et devenir autonomes d’ici 2023. »
Dans les années 1980, mon père a profité de l’essor du tourisme et des sports d’hiver pour populariser cette liqueur de plantes.
Une affaire de terroir
Dans les Alpes, le génépi pousse naturellement l’été, entre 1 500 et 3 000 mètres d’altitude, au beau milieu des rochers et du névé – une accumulation de neige qui peut perdurer tard dans la saison. Afin de réduire la menace due au réchauffement climatique et à la pollution, un encadrement très strict de la cueillette dite familiale a été instauré: elle est désormais limitée à 120 brins par jour et par personne, voire interdite selon les régions. Pour la distillerie Meunier qui tient à préserver cette espèce rare et protégée, le mieux est donc de développer sa propre plantation. « On a fait appel à des pépiniéristes pour qu’ils fassent germer les semences de deux variétés de génépi, du jaune mais aussi du noir qui est très complexe et beaucoup plus puissant. On en a planté plusieurs milliers et c’est maintenant mon ami d’enfance Thierry, apiculteur au cœur du massif de la Vanoise, qui supervise l’exploitation ».
Après la cueillette, les fleurs sèchent pendant plusieurs jours puis sont acheminées vers la distillerie, à Saint-Quentin-sur-Isère. Lorsqu’on pousse les portes de la fabrique, les effluves florales se mêlent aux vapeurs d’alcool. Puisque la maison Meunier a choisi il y a deux siècles de concocter son breuvage grâce à la méthode de la distillation et non de la macération, le cœur de l’activité se situe dans les alambics. « Notre distillateur ne crée pas d’alcool mais utilise la distillation pour concentrer les arômes des plantes sélectionnées afin d’obtenir une solution parfumée. La méthode de l’extraction par macération de brins dans l’alcool et le sucre a beau être plus facile, elle donne une boisson qui manque d’équilibre et est souvent trop amère et sucrée. » décrit le chef d’entreprise. Quand le cocktail de plantes est prêt, place à l’assemblage, selon la recette traditionnelle. Le distillat est réduit ensuite entre 40 et 55 degrés, puis placé à reposer dans des cuves en inox pendant plusieurs semaines. Une très faible quantité de liqueur est, quant à elle, placée à vieillir dans des fûts de chêne puis embouteillée sous forme de cuvées.
Nouvelle vague
Bien que la distillerie Meunier a, au fil des décennies, développé d’autres boissons comme le gin, le génépi demeure son cœur d’activité. Emblématique de la maison, le Génépi Héritage dévoile des notes suaves et délicatement herbacées, rondes et amples en bouche. Plus intense et moins sucré, le Génépi Altitude convient aux amateurs de liqueurs de plantes tandis que le Génépi n°1 à la robe translucide conserve sa recette d’origine. Pour les déguster, Edouard Modelski a ses habitudes: « On aime les servir, entre 9 et 12 degrés, dans un contenant pas trop évasé afin de savourer les arômes des plantes. Ils peuvent aussi se servir sur glace, à la façon d’un Old Fashioned avec un zeste d’agrumes.»
On aime les servir, entre 9 et 12 degrés, dans un contenant pas trop évasé afin de savourer les arômes des plantes. Ils peuvent aussi se servir sur glace, à la façon d’un Old Fashioned avec un zeste d’agrumes
Souvent considérée comme une boisson désuète, le génépi serait-il en train de devenir cool? « Contrairement à ce qu’on pense, le génépi est un produit d’une grande qualité qui ne consomme pas qu’en digestif.» assure Edouard. Pour preuve, le mixologue Rémy Savage – directeur créatif des bars parisiens Little Red Door, Lulu White et Bonhomie – a imaginé un cocktail en phase avec notre époque et réinterprété le Tom Collins pour en faire un apéritif idéal. Exit le gin, Rémy Savage le remplace par 4 cl de Génépi Altitude, puis ajoute 1 cl de jus de citron et de l’eau gazeuse.
Les chefs s’y intéressent, eux aussi, de près. À Annecy, la table étoilée de Yoann Conte a l’habitude d’aromatiser plats et desserts d’armoise tandis que le chef le chef Julien Rondepierre de l’Hôtel des Milles Pas à Voiron a fait découvrir à Edouard Modelski le beurre au génépi, en accompagnement d’un filet de rouget. « C’était délicieux! Nos liqueurs se marient très bien au poisson blanc et aux sauces. Côté sucré, on les utilise souvent dans des crèmes brûlées ou avec de la vanille et du chocolat. » Également délicieuse en sorbet ou dans un gâteau, cette liqueur de plantes a décidément de quoi nous faire tutoyer les sommets.