Dans le jardin d'Asafumi Yamashita

Le nom d’Asafumi Yamashita se chuchote entre chefs étoilés depuis quelques années mais rares sont ceux qui ont eu la chance de cuisiner les légumes du maître maraîcher.

Du bonsaï aux restaurants étoilés

Pendant deux saisons, nous l’avons suivi tout en observant les métamorphoses de son jardin… Il est encore tôt lorsque nous arrivons à Chapet, dans les Yvelines. Pour un jour de printemps, le soleil n’est pas au rendez-vous et la grisaille se reflète sur les mines maussades des conducteurs que nous croisons. Nous passons le portail de la maison quand deux chiens viennent nous accueillir. La porte d’entrée s’ouvre tandis que Milky et Honey sont rappelés au pied. Nous rencontrons finalement Asafumi. Un grand sourire aux lèvres, il nous propose un café. Au-dessus de sa cheminée trônent les multiples trophées du maraîcher, ceux de ses anciennes : boxeur, golfeur, danseur, musicien ou encore artiste.

Asafumi allume une cigarette en nous racontant son histoire : sa vie au Japon, aux États-Unis, au Mexique… Puis à Chapet. Enfin, il nous raconte sa rencontre avec sa femme Naomi : « Il a fallu que je vienne en France pour me marier avec une japonaise ! » Cette dernière a beau l’aider sur ses projets, son travail reste son jardin secret : « J’aime travailler seul, ça me permet de me retrouver ». De son côté, Naomi
cuisine les légumes de son mari, notamment lors des tables d’hôtes organisées le week-end : « Un journal américain m’a contacté pour un article, j’ai crû que c’était pour mes légumes mais c’était pour la cuisine
de ma femme ! » Autrefois cultivateur de bonsaïs, il s’est retrouvé maraîcher par hasard après que des crapules aient volé le fruit de plusieurs années de travail.

Un maraîcher très sollicité

Alors que nous marchons dans son jardin, Yamashita énumère dans un sourire ceux qu’il a plaqué. Le styliste Kenzo Takeda ou encore plus récemment le restaurant de l’Assemblée Nationale: « Ils m’ont invité car ils aimeraient mes légumes pour leur resto de diplomates. J’ai visité, c’était sympa. Puis j’ai dit non ». Rejoindre le club n’est pas chose aisée et les chefs l’ont bien compris. Si Asafumi réinvente le métier de maraîcher, c’est en bouleversant toutes les notions de commerce en choisissant lui-même ses clients, en changeant ses tarifs comme ça lui chante ou encore en produisant une quantité à peine suffisante pour satisfaire les besoins des chefs. « Si je dois donner cinquante navets, je donne toujours les meilleurs, je les choisis soigneusement ». Les chanceux s’appellent Pascal Barbot, Pierre Gagnaire, Anne-Sophie Pic, Eric Briffard, ou encore Sylvain Sendra et la liste n’est pas plus longue que ça. Une collaboration peut s’achever aussi vite qu’elle a commencé puisqu’Asafumi décide parfois de rompre avec ses clients : « Je n’aime pas quand un chef n’est jamais dans sa cuisine. J’ai envie de savoir comment sont traités mes légumes. Parfois, je leur donne même des conseils pour les cuisiner ».

Maraîchage au feeling

Cette année, Asafumi fêtait sa dix-neuvième année de maraîcher et le climat ne lui a pas fait de cadeau. Au jardin, le printemps se prépare dès le mois de janvier et ce dernier travaille à l’instinct pour faire pousser ses graines japonaises. Les livres de botanique ne lui sont d’aucune utilité puisque ni les saisons ni les altitudes ne sont les mêmes qu’en France. Lorsqu’on lui demande conseil, il est rare qu’Asafumi réponde. Ce qu’il sait, il l’a appris par lui-même en tâtonnant. Comme tout ce qu’il fait, il y met tout l’amour et toute la passion du monde pour toucher l’excellence. Un peu comme autrefois, quand il était spécialiste de bonsaïs et qu’il louait ses arbres nains aux grands hôtels de la capitale. C’est ce même soin et cette même minutie pour s’occuper de son potager.

Rendez-vous à la ferme Yamashita et offrez-vous
l’expérience : croquer dans un épis de maïs ici ne ressemble à rien d’autre. On a le sentiment de tout découvrir et de réapprivoiser ses papilles.

« Les bonsaïs sont un peu comme des légumes dans le fond. On fait vivre un arbre dans un tout petit pot, on exprime grâce à lui le temps qui passe. Il n’y a pas de liberté pour l’arbre à qui l’on donne la forme qu’on souhaite, et pour qu’il reste en bonne santé il faut écouter la nature ». Un jardin demande un travail titanesque et personne n’aurait parié sur les terres d’Asafumi : « Le terrain n’est pas très bon car il est très argileux, il y a beaucoup de cailloux et en termes d’altitude, je suis tout en bas du village de Chapet et toutes les pluies se retrouvent chez moi ». Ce que demandent aussi les légumes, c’est de la patience et c’est avec de tout petits ciseaux qu’il les choie, comme il le faisait jadis avec ses arbres centenaires.

Du jardin à l’assiette

Enfin, Asafumi qui nous fait goûter ses légumes chéris. Rendez-vous à la ferme Yamashita et offrez-vous l’expérience : croquer dans un épis de maïs ici ne ressemble à rien d’autre. On a le sentiment de tout découvrir et de rapprivoiser ses papilles. Au printemps, on voit pousser les komatsunas, des épinards qui ressemblent à des feuilles de chou; on remarque aussi les kabus, des petits navets blancs que les japonais consomment jusqu’à la tige. Nous passons les rangées de fines carottes de Kyoto, le brocoli ou encore le chou aux feuilles fines et curieusement sucrées puis le daïkon robuste dont la sucrosité surprend dès la première bouchée. À l’entrée du jardin se trouve un petit poulailler. Asafumi leur balance un épi de maïs et nous raconte que sa femme prépare des sashimis de poulet lors des tables d’hôtes.

Le printemps tire sa révérence et fait place à l’été. Une saison qu’affectionne particulièrement Asafumi avec l’arrivée des tomates. Un fruit qui demande énormément d’attention puisqu’on ne peut pas le laisser se débrouiller seul : « Il faut leur apporter beaucoup de soins, si on ne les retient pas, elles se couchent. Un peu comme moi ! ». Le maraîcher nous raconte qu’un chef italien est venu le voir et que selon lui, même les tomates italiennes n’étaient pas aussi bonnes que
les siennes ! Plus loin, les aubergines blanches ont le goût et la texture crémeuse de l’avocat. On croise les concombres japonais, les piments doux et les superbes melons aussi grands que des ballons de foot. Asafumi prépare les semis d’automne et d’hiver dès le mois de juillet. Deux semaines de plus et ce serait trop tard. Le climat, souvent difficile et capricieux fait que chaque saison nécessite énormément de travail. À tel point qu’Asafumi a fait appel à Michiko, qui est venue tout droit du Japon pour un stage d’un an. Cette fois, c’est sur la terrasse qu’on s’installe pour siroter un verre. Il s’allume une cigarette sous un soleil de plomb : « La semaine dernière on a reçu M6, il y avait Pierre Gagnaire et le maire de Chapet est venu voir ce qu’il se passait dans mon jardin ». Si le prénom d’Asafumi se chuchotait discrètement jusqu’à maintenant, il n’est pas garanti qu’il reste secret encore très longtemps…

-> Article extrait du Mint#1

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Marie Amélie Tondu
Marie Amélie est photographe et aime passer d'un domaine à l'autre : mode, nature-morte, portrait, food ou encore reportage. Elle réalise des images pour différents magazines et marques.
Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.

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