Viva la pappa col pomodoro
Quand j’étais enfant, j’étais persuadée d’être italienne. Pourtant ma mère était blonde et parlait souvent l’allemand avec ses parents. Je crois que cette confusion vient de ma nounou, qui elle venait du sud de l’Italie, près de Lecce. Un endroit où les murs poussiéreux se dessinent sous différentes nuances d’ocres et de jaunes, où la mer était fraîche, limpide et turquoise, encerclée par les rochers. On adorait y passer nos étés. Dans la voiture, ma mère écoutait les classiques italiens de l’époque en chantant, lèvres rouges et Wayfarer sur le bout de son nez. Je la regardais admirative et tout cela me confortait dans l’idée que je venais, moi aussi, de cette sublime région des Pouilles. Je ne suis pas sûre qu’elle ait jamais parlé l’italien mais coupe toujours court aux conversations en balançant un charmant « Ciao ! ». Lorsqu’elle sirote son café sur une terrasse de Salò près du lac de Garde, son endroit préféré au monde, ma mère ne peine jamais à se faire comprendre et se met, elle aussi, à parler avec les mains.
À la maison, il y a toujours eu beaucoup d’Italie à table et c’est probablement là la clé de voûte de tous mes fantasmes : pasta, minestrone, melanzane alla parmigiana, piccata milanaise, lasagnes… Tous ces plats gorgés de soleil réchauffaient le plus maussade des automnes. L’essence même de cette cuisine, c’est le réconfort. Quand j’ai commencé à travailler comme journaliste culinaire, elle a pensé que ses petits plats mijotés ne seraient peut-être plus assez bien pour moi. Je l’ai vue redoubler d’efforts, transformant mes visites en véritables banquets. La vérité, c’est que sa cuisine est exactement à la hauteur de mes attentes.
C’est la cuisine de la mamma. Celle qui vous met du baume au coeur un soir de pluie, celle qui vous donne envie de faire 3 heures de train juste pour y goûter, celle qui éveille en vous de lointains souvenirs. C’est une cuisine de mémoire, sans chichis. Vous ne la verrez jamais dresser une assiette, en revanche vous la verrez vous resservir plusieurs fois, les yeux pétillants de bonheur en vous voyant vous goinfrer. Les plats sont toujours posés au centre de la table. À la fin du repas, on vous laissera tremper un morceau de pain dans la sauce pour profiter un peu plus de son jus mijoté. Personne ne vous fera les gros yeux, tout le monde y plongera joyeusement.
La cuisine italienne de ma mère est si parfaite qu’elle ferait pâlir d’envie la meilleure trattoria de Paris. Je peine à trouver un tiramisu qui puisse arriver à la cheville du sien : un délicieux dessert généreux et crémeux à souhait. J’y retrouve la douceur du mascarpone, des boudoirs imbibés d’espresso, des notes de Grand Marnier ou d’amaretto. Quand je vois son plat sortir du frigidaire, je sais que je serais parfaitement capable d’en découdre seule avec lui, armée d’une petite cuillère. Ce n’est jamais arrivé. On se bat tout pour en avoir une plus grosse part et je l’aime tellement que je pourrais me rouler dedans. Peut-être que des puristes iraient lui voler dans les pattes, arguant sur l’usage de telle liqueur ou de tel café. Ils n’y connaissent rien, je peux vous l’assurer. Vous aussi, vous succomberiez.
Ce qu’il y a de magique dans la cuisine d’une mère, c’est qu’elle est avant tout nourricière, directe, honnête et sans fards. N’importe lequel de ses plats me ferait fondre sur le champ mais il y en a un que j’aime par dessus tout : c’est son osso buco. Un plat en sauce qui pourrait être un lointain cousin du boeuf bourguignon. L’osso buco est fait à partir de morceaux de veau et mijote dans une cocotte pendant plus de trois heures. Sur la dernière ligne droite, elle y ajoute quelques os à moelle, spécialement pour moi. Si ce plat est un délice le jour même, il est à se damner le lendemain. La cuisine d’une mère est la seule à avoir ce pouvoir magique.
J’ai souvent essayé de reproduire ses plats, passant de longues minutes avec elle au bout du fil, détaillant chacune de ses astuces pour me transmettre une recette « inratable ». Je n’ai connu aucun succès. Certains vous diront que je suis peut-être dure envers moi-même, ma mère en tête de file. Pourtant, mes reproductions n’étaient que pâles copies en comparaison. La cuisine de ma mère n’est pas faite pour être reproduite. Elle n’a pas d’égal. Un peu comme la cuisine de votre maman.