Tu t’es cherché pendant longtemps avant de te lancer en cuisine ?
C’est arrivé assez tard, j’avais 27 ans. J’étais jardinier mais je me cherchais un peu. Financièrement c’était pas viable comme situation car je n’avais pas toujours du travail. Ma mère a été surprise mais elle savait que que cela m’attirait depuis longtemps. Finalement ça a été un soulagement pour tout le monde que je puisse trouver ma voie.
Tu as un parcours plutôt atypique, est-ce qu’à un moment de ta carrière tu as regretté de ne pas avoir eu de formation de cuisinier ?
J’avais essayé de m’inscrire à l’école mais la rentrée ne coïncidait pas avec mon boulot, puis j’ai laissé tomber. Aujourd’hui, je travaille avec des gens qui ont souvent un parcours plus classique avec une école hôtelière au démarrage. Je pense qu’ils m’apportent autant que ce que je peux leur apporter. Parfois c’est un simple geste technique, parfois une cuisson…
Tu penses que l’expérience prime sur le côté très théorique de l’école hôtelière ?
Mes confrères sont d’accord pour dire que le plus important à l’école, c’est l’apprentissage des bases. Finalement, tout se joue durant le stage en alternance car la cuisine est un métier qui s’apprend auprès de quelqu’un. En ce qui me concerne, je suis autodidacte et j’ai beaucoup appris dans les bouquins de cuisine. J’achetais des livres très techniques, parfois scolaires et je m’intéressais aussi à la cuisine plus ménagère.
Est-ce que ça a été une compliqué pour toi de débuter ta carrière sur le tard dans un métier où les gens commencent vers 16 ans ?
Les parcours sont tous différents, il n’y a pas de chemin idéal et je vois de plus en plus de reconversions dans le métier, par contre c’était moins le cas il y a dix ans. Aujourd’hui on peut être avocat puis tout plaquer pour suivre une autre voie.
Ton équipe est internationale ?
L’équipe a toujours été internationale elle a parfois été très franco-italienne. J’aime beaucoup travailler avec les italiens. Ils ont une culture très « cuisine », un peu comme les français mais je le perçois différemment car leur approche est peut-être plus nourricière que gastronomique. Il y a un toucher, une approche, on est en plein dans les casserole avec des sauces, des plats qui mijotent et c’est la cuisine qui me plait.
Côté expérience, tu n’as pas vraiment favorisé les étoilés ou les chefs de renom, c’est moins ton truc ?
Puisque j’ai commencé tard, côté «maisons» j’ai un peu pris ce qui venait et je ne me suis pas orienté vers les étoilés. Il y a dix ans, le jeune âge avait tendance à primer sur le reste pour intégrer une brigade. Il faut dire aussi que dans un étoilé il y a une structure, et il y a du monde… J’ai préféré faire des petites maisons et c’est comme ça que j’ai travaillé au Café des délices avec le chef Gilles Choukroun, puis que j’ai rencontré Laurent Chareau, au restaurant du musée d’Art contemporain du Val-de-Marne. Plus que la renommée d’une maison, je cherchais un bon contact. Arrivant là à 27 ans avec une petite maturité, je posais beaucoup de questions. Je n’étais pas simplement exécutant. Parfois ce questionnement poussait le chef à penser ses menus différemment et on arrivait finalement à un dialogue.
Aujourd’hui de nombreux restaurants ouvrent grâce au concours d’investisseurs, est-ce qu’on t’a aidé pour ouvrir Le Chateaubriand ?
C’est vrai, mais ça ne se faisait pas trop il y a dix ans. Pour le Chateaubriand, je me suis associé avec Frédéric Penaud. Quelqu’un s’est porté garant pour nous puis s’est retiré au bout d’un an, une fois que la machine tournait bien.
Comment as-tu trouvé ce bistrot ?
Notre choix s’est porté sur une affaire de quartier, je voulais un lieu qui ait du vécu. On est venu voir cette dame qui tenait ce bistrot qui marchait vraiment bien avec une carte traditionnelle, classique et efficace. C’est justement parce qu’il tournait bien que je n’osais pas lui demander, mais mon associé s’est lancé et il a bien fait! La gérante a hésité puis elle nous a demandé de lui laisser encore six mois. Quand on a repris le Chateaubriand, l’avenue Parmentier n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui mais on cherchait vraiment un quartier populaire. On était plus branché 18ème que Rive-Gauche.
Tu es considéré comme la valeur étalon de ce qu’on appelle la « cuisine d’auteur », ce qui signifie en somme que ta cuisine est si personnelle que l’on pourrait la reconnaître les yeux fermés.
Notre but était de faire un truc qui nous ressemble. Une cuisine libre et personnelle. Aujourd’hui ça peut sembler redondant mais il n’y avait pas trop d’endroits comme ça à Paris il y a dix ans. Il n’y avait rien de calculé dans notre démarche.
Est-ce-que certains plats ont marqué les débuts du Chateaubriand ?
À l’ouverture, on a beaucoup parlé du boeuf-carotte, du foie gras cru ou encore du radis-beurre qu’on avait complètement revisité. C’était une déclinaison de radis en lamelles avec du doux, du piquant mais aussi du sucré avec de la betterave crue.
Aujourd’hui, elle est comment ta cuisine?
J’ai un rapport assez simple à la cuisine, plutôt brut, tout en essayant de nouvelles alliances de saveurs.
Est-ce-que tu as le sentiment d’être devenu un incontournable parisien ?
Le Chateaubriand n’est pas un passage obligatoire. Tu as déjà passé une soirée au Baratin ? Pour moi, le Baratin, c’est ce qui se fait de mieux à Paris, en tout cas c’est ce qui s’approche le plus d’un incontournable !
Ces derniers temps, on remarque que les produits des mêmes producteurs se retrouvent dans l’assiette des restos à la mode. Si on cuisine les mêmes produits en suivant la même mouvance, on ne risque pas de tourner en rond ?
Certains producteurs se retrouvent sur pas mal de tables, c’est vrai. Parce qu’ils ont une excellente réputation, un bon réseau ou tout simplement un beau produit. Craindre que cela ne créé une « uniformisation » dans le paysage gastronomique ça me fait sourire. C’est un problème de foodie ça, non ? Je veux dire que normalement, tu n’es pas censé manger au Chateaubriand puis chez Septime deux jours après. En hiver, c’est normal de trouver des légumes-racines puisque les chefs de cette trempe essayent au maximum de cuisiner des produits de saison. À l’arrivée du printemps, les petits pois vont sortir et tu en trouveras à la table du Chateaubriand mais aussi au Plaza Athénée.
Aucun risque de s’ennuyer alors ?
Il ne faut pas simplifier l’histoire en disant
que tout se ressemble : le côté créatif, les beaux
produits, c’était nouveau il y a encore très peu de
temps! On ne peut pas s’ennuyer à Paris, ce n’est pas
possible. Il y a des bistrots, des gastros, des restaurants espagnols, des japonais qui font de la cuisine
française… Alors bien-sûr il y a à boire et à manger
là-dedans, mais plus le temps va passer et plus les
gens auront le choix.
À la maison, est-ce que tu cuisines encore ?
Je cuisine de temps en temps, ou alors on cuisine à deux avec ma compagne. Hier j’ai fait une soupe mexicaine ! Par contre, ce que je cuisine à la maison pour ma famille ou mes potes n’a rien à voir avec ce qu’on fait au restaurant. On mange des choses simples et Delphine Zampetti est vraiment douée pour ça, elle peut te faire un plat génial avec trois fois rien.
C’était comment le Chateaubriand, au début ?
Il y a 9 ans, on avait une formule à 14 euros le midi et 36 euros le soir. Au déjeuner c’était un peu la pagaille mais j’aimais beaucoup ça. On avait revu le service à notre façon, c’était plus détendu, plus proche du client. Je pense qu’on recommencera un jour, j’ai envie de retrouver cette ambiance-là.
Tu penses que tu seras où dans dix ans ?
Pourquoi ? Tu veux me foutre dehors ? Je ne vais pas le révéler, c’est une surprise, mais t’en fais pas, j’ai un plan d’action !