Cinécolo, quand le cinéma essaie de devenir écolo friendly

Se faire conduire sur un plateau en voiture électrique, imposer des toilettes sèches ou faire des déclarations publiques en faveur du climat sont des initiatives louables. Mais de là à dire que le cinéma est éco-friendly…


Pour qu’opère la magie du cinéma, on lésine rarement sur les moyens,
même s’il s’agit d’exploser pour trente millions d’euros de voitures
sur le tournage d’un 007, ou de réduire en fumée une parcelle de forêt
tropicale — en ajoutant quelques pneus, afin de rendre le brasier
plus spectaculaire — comme Coppola en son temps pour l’ouverture
d’Apocalypse Now. Il y a aussi ces somptueux décors, qui finissent
à la déchetterie. Et lorsqu’il faut tourner une scène en plein désert,
pour servir le récit, c’est souvent toute une équipe qui se déplace en avion… Ces partis pris artistiques en collent plein les mirettes aux spectateurs, mais laissent une sacrée empreinte sur la planète. De l’écriture d’un film au déplacement en salle des spectateurs, on estime que l’industrie cinématographique, rien qu’en France, émet 1,1 millions de tonnes de CO2 chaque année. Soit 410 000 allers-retours Paris/New York. À cela s’ajoute une quantité astronomique de déchets inhérents aux tournages: bouteilles d’eau, capsules et gobelets de café… Le cinéma pollue, et pourtant, à l’exception de quelques acteurs engagés publiquement, et d’une poignée d’irréductibles écolos, le milieu ne s’en émeut guère. Or, si la majorité de « la grande famille du cinéma» l’ignore, il est possible de rendre un tournage plus éthique. À l’image de nos voisins d’Amérique (qui ont une belle longueur d’avance), l’Hexagone commence à s’y mettre doucement.

L’Effondrement

Il fait frisquet pour un dimanche matin d’avril, mais Pauline Gil s’en accommode. La jeune femme blonde s’active depuis quelques heures
déjà lorsqu’elle nous accueille sur le parking presque désert de l’hypermarché de Courcelle-sur-Yvette, où une poignée de personnes
finissent leur café-clope. Pauline se dirige d’un pas vif à l’arrière du magasin, en enjambant les mètres de câbles électriques qui courent
le long des couloirs. «D’ici quarante minutes, on va tourner la scène de la petite émeute», précise-t-elle en passant devant la salle où les figurants reçoivent un dernier briefing. Nous sommes sur le tournage du premier épisode de L’Effondrement, une série sur la périclitation de notre société thermo-industrielle réalisée par Les Parasites (Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard, et Bastien Ughetto), diffusée sur Canal + Décalé à l’automne. Pauline y participe côté coulisse en tant qu’éco-manageuse, un poste d’un genre nouveau. Engagée par ET BIM Production, elle fait de la sensibilisation auprès des équipes, et veille à ce que les alternatives éco-responsables validées par les chefs de poste en préproduction soient respectées sur le tournage. «Pour le moment, la majorité des gens sont très contents et motivés ». La costumière, par exemple, a mis un point d’honneur à acheter le moins de vêtements neufs possible. « J’ai juste dû aller en boutique pour trouver les gilets rouges des caissiers: on ne peut pas montrer à l’écran ceux des enseignes existantes. » L’éco-manageuse s’engouffre alors dans une loge, où une maquilleuse agite avec un sourire les petits disques à démaquiller en tissu beige, lavables et réutilisables. Devant les miroirs s’alignent fards à joue et rouges à lèvres. Bio, évidemment. « Il paraît que Marion Cotillard ne veut que le maquillage bio Dr Hauschka et le fait écrire dans ses contrats! » souffle Pauline avec son joyeux accent toulousain.

Engagée par ET BIM production, Pauline Gil fait de la sensibilisation
auprès des équipes, et veille à ce que les alternatives éco-responsables, validées par les chefs de poste
en préproduction soient respectées sur le tournage.

Nous déboulons ensuite au milieu du supermarché, dont les rayons à moitié vidés (pour cette scène de crise où les habitants font des réserves en vue de l’effondrement) sont éclairés par 23 kg de lumière en LED. «Normalement, il aurait fallu plus de 300 kg de lumière traditionnelle» lance Andrea Vistoli, coproducteur de la série. «On ne pouvait pas produire cette série sans avoir une démarche qui contrebalance son côté anxiogène, sans porter de message optimiste.» Ils ont donc organisé un tournage éthique, d’un point de vue écologique et humain (l’équipe est paritaire).

«L’enjeu principal, c’est de décaler les réflexes qu’on a depuis que le cinéma existe, sans altérer la qualité de la fiction. On essaie par exemple de supprimer le Gaffer, ce scotch noir qu’on utilise à tord et à travers alors que c’est amas de pétrole dégueulasse.» Pour identifier une caisse, ils ont donc des étiquettes en bois pyrogravées, au lieu d’une feuille scotchée. «Ce n’est pas très rentable, certes, mais on ne peut pas trouver toutes les bonnes solutions du premier coup», relativise le trentenaire. «On est plus heureux en travaillant comme ça parce que ça nous reconnecte à des valeurs plus humaines. Et puis, tu te sens plus puissant, c’est très valorisant d’être autonome.»

C’est probablement sur la table régie que le travail de Pauline est le plus frappant. Exit Snickers, chips, et autres gourmandises en sachets, ici trônent des bocaux de gâteaux et de fruits secs bio achetés en vrac. Les palanquées de bouteilles d’eau qui finissent leurs jours à moitié bues au fond d’une poubelle ont, elles aussi, été remplacées par des gourdes et gobelets réutilisables au nom des membres de l’équipe. Il y a une machine à café à grain pour éviter les capsules. «On a opté pour une cantine végétarienne, locale et de saison» précise la jeune femme qui reconnaît que si tout le monde fait preuve de bonne volonté, le régime sans viande ne fait pas l’unanimité : « Il y a déjà eu de la contrebande de saucisson hier » dit-elle en riant. Elle a parfois l’impression de faire un peu la police, notamment lorsqu’elle vérifie que les déchets ont bien été triés (ils seront ensuite valorisés, à l’instar des mégots recyclés en tables), mais elle garde le sourire. Pauline Gil a seulement 22 ans, et comme beaucoup de personnes de sa génération, elle prend l’avenir de sa planète très à cœur.

Illustration : Mickaël Jourdan

La naissance des green angels à la française

En parallèle du tournage, cette étudiante en cinéma fait un service civique au CNC, et plus précisément chez Ecoprod. Fondé il y a dix ans, cet organisme formé entre autre par le CNC, Audiens, France Télévision, TF1, Canal + et Vivaldi, sensibilise ses partenaires et fournit une boite à outils pour des productions audiovisuelles plus légères pour l’environnement. Il a lancé Carbon Clap, une application gratuite qui permet d’évaluer les émissions de CO2 des tournages, ainsi qu’un guide pratique et des signalétiques à imprimer. Il y a dix ans, cette initiative faisait sourire les gens du milieu. Désormais, ils sont de plus en plus nombreux à solliciter Ecoprod pour trouver des prestataires respectueux de l’environnement. Et les demandes devraient se multiplier lorsque seront mises en place des aides financières, comme en Belgique (actuellement, seule la région Île-de-France soutient les productions vertes). Ecoprod reste toutefois un collectif de bénévoles qui n’est pas en mesure de fournir une aide personnifiée.

Les plus motivés se tournent alors vers les rares sociétés privées que compte l’Hexagone qui proposent un audit pour déterminer les points d’optimisation, puis un accompagnement tout au long du tournage. Secoya, l’une d’elles, a été créée en 2018 par Mathieu Delahousse et Charles Gachet-Dieuzeide, deux anciens régisseurs engagés qui en avaient marre de ne pas pouvoir faire bouger les choses depuis leur poste. « Je suis parti vivre à Los Angeles, et j’ai découvert l’eco-management à travers Eco Set et Earth Angel [d’importants consultants en production audiovisuelle éthique, ndlr]. Les Américains sont à fond dans le green. Ils ont des budgets bien plus conséquents que nous sur ces questions. Et il y a une vraie philanthropie environnementale», expose Charles Gachet-Dieuzeide. Conscients que l’impulsion doit venir du décideur financier, ils proposent donc leurs services aux producteurs. À peine un an après leur lancement, ils reçoivent déjà plusieurs demandes par semaine. «C’est un peu compliqué à gérer, mais on est ravis », confie l’entrepreneur, avant d’énumérer ses prestigieux clients, tels que Louis Vuitton, L’Oréal ou Zara, dont ils verdissent les publicités. «En terme d’image, c’est très bien pour les marques. Tout le monde est gagnant.» Côté fiction, ils travaillent notamment sur Le Baron Noir, la série politique de Canal + avec Anna Mouglalis et Kad Merad, produite par Kwaï, et avec Bonne Pioche production sur Poly, le prochain long de Nicolas Vanier. «Un tournage éco-responsable ne se résume pas à avoir une gourde. Ça demande un peu de temps, et d’argent [2 000 euros la semaine d’accompagnement sur long-métrage, ndlr] mais les producteurs les plus engagés, comme Haut et Court, s’y conforment parce qu’ils savent que c’est nécessaire», afrme Charles Gachet-Dieuzeide. Pour Andrea Vistoli, le co-producteur de L’Effondrement, le tournage éthique implique une surcharge de travail d’environ 10%, que chacun accueille à bras ouverts: «Autant s’y mettre maintenant, parce que dans dix ans, ce sera obligatoire. Le cinéma est en train de prendre un vrai tournant vert et responsable, et il faut aller à toute vitesse vers les changements de mentalité et de comportements.»

L’urgence de la prise de conscience

Ces dernières années, la possibilité d’un effondrement de la civilisation industrielle, causée par notre surconsommation de ressources, notre pollution et la crise climatique, est passée du stade de scénario de film catastrophe à une réalité plausible. Les fondateurs de Secoya comme les producteurs de L’Effondrement font partie de cette génération qui a pris
conscience de l’urgence, notamment en lisant les textes de Pablo Servigne, Raphaël Stevens, ou Cyril Dion. L’actrice et réalisatrice Audrey Dana, ambassadrice Ecoprod « tous crocs dehors », est de la même paroisse. Elle aussi est affolée par l’absence de prise de conscience de son milieu. «On est une des industries les plus polluantes, il faut absolument que ça change, et je suis sidérée que ce soit si difficile. C’est dingue comme être écologique est intelligent, on y gagne dans tous les sens.» Cet été débutait le tournage de son troisième long-métrage, Hommes au bord de la crise de nerf. Elle a tout de suite annoncé la couleur à ses chefs de poste : son film sera le plus vert
possible. «Tout le monde est content d’avoir l’occasion de faire un effort, mais il faut que ce soit imposé. J’ai donné la liste de ce que je voulais voir sur la table régie, en refusant catégoriquement les produits Monsanto. Il est hors de question que ne serait-ce qu’un centime que j’ai réussi à lever pour ce film aille dans quelque chose qui fait du mal à la terre,» s’exclame Audrey Dana. Sur son tournage, c’est elle qui endosse la veste d’éco-manageuse. Afin d’éviter le gaspillage, elle a mis en place un «veggie day» et demandé à ses équipes de fixer à l’avance les jours où l’on mangerait de la viande ou du poisson. Une initiative plutôt simple, qu’elle a proposée sur chaque tournage où elle a été actrice cette année. « Il suffit d’un mail du réalisateur. Mais pas un ne l’a fait. C’est comme si les gens ne comprenaient pas l’urgence de la situation,» résume-t-elle, un tantinet exaspérée. Comme le coproducteur de L’Effondrement selon lequel « ceux qui ne sont pas à 100%, ce sont les plus de 40 ans », Audrey Dana constate un décalage générationnel. «Un réalisateur qui est notre père à tous me l’a dit, sa génération a vécu des choses tellement intenses qu’en comparaison la question climatique, qui est un danger sourd chez nous, n’est pas une priorité.» Et puis il y a un déni, très fort…

Six mois après ce rendez-vous à l’hypermarché de Courcelles-sur-Yvette, le tournage éthique de L’Effondrement est terminé. Tout s’est bien passé, Pauline Gil est ravie. «Certains m’ont dit que depuis le tournage, ils faisaient aussi attention chez eux. C’est le genre de réactions que j’espérais obtenir, c’est très encourageant.» Elle projette de réaliser un making-of de ce tournage éco-produit, pour palier le manque d’exemple concret en vidéo. Comme Audrey, Andrea, Charles et les autres, elle essaie d’être fidèle à ses convictions écologiques dans sa vie de tous les jours, et qui plus est sur son lieu de travail. Espérons que la «grande famille du cinéma» ne tarde pas trop à leur emboîter le pas.

->Article extrait du Mint #16

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Irène Verlaque
Irène est journaliste. Elle raconte des histoires dans Télérama, Le Temps, L'Obs, et ailleurs. Entre deux voyages, elle se plait à regarder de vieux films à des heures indues.
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Mickaël est un auteur-illustrateur basé à Toulouse. Passionné de littérature jeunesse, il partage son temps entre l'illustration et de nouveaux projets de bandes dessinées.

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