Vous êtes les détenteurs d’un savoir-faire quasiment unique en France pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la « dominoterie » ?
C’est l’impression d’une feuille de papier à la planche à partir de plaques gravées d’un motif. Ces feuilles, d’un format de 35 x 45 centimètres, sont ensuite mises en couleur à main levée ou à l’aide de pochoirs. Elles sont élaborées à partir de fibres textiles – des draps en lin ou en chanvre – comme cela se faisait à l’époque avant l’utilisation de la fibre de bois.
Concrètement, quel est son processus de fabrication ?
On encre un rouleau que l’on applique sur la plaque de métal où le motif est gravé en relief. On humidifie la feuille de papier que l’on place à l’extrémité de la presse et sur laquelle on dépose la plaque recouverte de peinture. Puis, manuellement, on actionne la presse pour que le motif se transfère sur le papier. Il est ensuite mis à sécher. L’étape finale est la mise en couleur au pinceau : ce que l’on appelle le « pinceautage ».
C’est une technique qui remonte au 18e siècle. Le papier dominoté est l’ancêtre du papier peint. Il faudra attendre le début du 19e siècle pour voir l’invention du papier en continu. Ils servaient ainsi à habiller les murs, à recouvrir de petits objets décoratifs, à orner l’intérieur de coffres ou d’armoires… On les trouve aussi sur les livres, en guise de couverture d’attente ou de pages de garde.
Quels motifs sont représentés ?
Il y a deux grandes tendances : de petits motifs géométriques répétitifs, ou des motifs plus volumineux d’inspiration florale. Puisque nous sommes issus de l’univers du patrimoine et des musées, nous rééditons des motifs historiques qui peuvent également faire partie de notre collection particulière d’archives.
Quelle est la part de créativité dans votre artisanat ?
Comme le disait Vincent, nous faisons renaître des motifs ayant existés mais notre travail consiste également à en créer de nouveaux. Tout en respectant l’esprit du 18e nous les revisitons avec notre propre style. Le siècle des Lumières a été très riche d’inspirations venant de tous les continents, ce qui nous offre un répertoire de motifs infinis !
Redonner vie à un savoir-faire disparu depuis trois siècles en pleine ère industrielle, n’était-ce pas un pari un peu fou ? Comment avez-vous été reçus dans l’univers de la déco, et qui sont vos clients ?
Ce défi nous a motivés, nous étions restaurateurs de patrimoine depuis plusieurs années déjà et nous arrivions à la croisée des chemins. C’est sur un chantier de restauration que nous avons redécouvert le papier dominoté. De cette émotion ressentie, nous avons eu envie de la partager et de la faire naître chez d’autres…
Il y a beaucoup d’engouement auprès des professionnels de la décoration. Le caractère unique et imparfait de chaque feuille de papier, du fait de son processus manuel, donne une fois posé au mur une vibration particulière. Cette trace de la main, ce caractère unique, c’est ce qui attire autant les professionnels que les particuliers qui font appel à notre artisanat.
Votre atelier de production est un véritable voyage dans le temps avec cette presse à imprimer, ces étendoirs, ces fioles de peinture. Où avez-vous puisé l’inspiration pour imaginer ce lieu ?
Le décor est inspiré des planches dessinées au 18e représentant le métier de dominotier présentes dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. On y voit des papiers imprimés qui sèchent sur des cordes et la mise en couleur au pochoir s’opérer sur une grande table de métier. Notre passion pour les objets chinés nous a conduite à nous entourer uniquement de mobilier ancien. Pour autant, le sol en béton ciré nous ancre bien au 19e siècle.
En parlant de 19e, comment arrivez-vous, en partant de votre cœur de savoir-faire, à vous inscrire dans la modernité ?
Tout d’abord, en revisitant des motifs 18e siècle avec notre propre style. En- suite, à partir d’une sélection de motifs créés pour notre collection de papiers dominotés, nous les déclinons en papiers peints au mètre et en tissus. Nous proposons une gamme de papeterie mais aussi, plus récemment, une ligne de foulards et d’étoles.
Au-delà de votre artisanat, vous êtes maintenant reconnus comme créatifs. Vous avez entre autres dessiné pour Diptyque, Ladurée, ainsi que Gucci…
Effectivement, le bureau de style de Gucci a repéré notre univers et nous a commandé des dessins exclusifs pour leur collection croisière de 2018 comprenant du prêt-à-porter et des accessoires pour la maison. Qu’une si belle maison de mode ait été séduite par notre univers et notre style est évidemment une magnifique reconnaissance de notre travail et de notre savoir-faire.
Des projets pour ces prochains mois ?
Plein ! Mais que nous ne pouvons dévoiler à ce jour. Je peux dire que nous avons mis en place une collaboration avec une grande enseigne qui sera dévoilée au grand public à la rentrée et qui lui fera découvrir toute l’inventivité des motifs du 17e.
Et un second gros projet qui nous emmène sur un terrain inconnu, inspiré de la vie de Madame de Pompadour, née Jeanne-Antoinette Poisson, dont la période de vie correspond à l’âge d’or du papier dominoté et à qui notre nom de marque rend hommage. Rendez-vous le 15 octobre pour savoir ce que nous élaborons depuis un an en secret…