Nous avons dépassé le centre-ville de Piran, et ses vents chargés de sel pour nous rendre sur ses hauteurs où se trouvent la maison et l’atelier de Karel et Marta. En entrant, un air d’opéra retentit dans la cuisine tandis que Marta prépare du thé en s’excusant du désordre. Elle dépose un strudel encore fumant au centre de la table avec un gros pot de miel et des quartiers de citrons.
Depuis combien de temps travaillez-vous ensemble ?
On a travaillé ensemble toute notre vie (rires), enfin disons quarante ans. Nous avons étudié l’art à l’Université de Ljubljana, puis nous sommes devenus professeurs tous les deux. La céramique est venue plus
tard, nous n’enseignions alors que le dessin.
Comment avez-vous appris l’art de la céramique ?
On a débuté ensemble en prenant des cours et en étudiant différentes techniques en Italie. C’est là-bas que nous avons appris les bases et les principales technicités qu’il faut connaître en céramique. Nous avons visité différentes manufactures en Italie, en France, en Autriche et c’est comme ça que j’ai appris à travailler sur un tour. Par ailleurs, la partie artistique nous concerne car ça ne s’apprend pas, c’est quelque chose de très personnel.
Ce n’était pas possible en Slovénie ?
À l’époque, il n’y avait pas d’écoles d’Art Moderne ici. Nous avons débuté du temps de l’ex-Yougoslavie, il n’y en avait qu’à Zagreb ou Belgrade. D’ailleurs en Slovénie, il n’y avait pas non plus de matière première pour faire de la céramique, comme de l’argile ou des couleurs. C’est pour ça que nous avons choisi l’Italie.
Vos débuts en tant que céramistes étaient très prometteurs, pouvez-vous nous en parler ?
À l’époque, nous vivions à Grožnjan en Croatie, une très jolie ville considérée comme un refuge d’artistes. Notre maison était aussi notre atelier et notre galerie. Il y a vingt ans, nous allions chercher l’argile directement à la rivière. Nous avions abandonné notre métier de professeurs car notre nouvelle maison nous permettait de vivre de notre art. Nous nous sommes essayés à la peinture, au graphisme, à la photo puis à la céramique.
Il était nécessaire pour nous de faire un métier artistique, d’avoir un lieu où vivre, travailler et partager cela avec les gens. Rapidement, nous avons eu du succès bien que nous travaillions différemment.
Comment partagez-vous votre travail ?
Je travaille au tour.
Et je peins.
Nous formons une belle équipe. Marta est la directrice artistique.
Karl est au tour et au nettoyage (rires).
Oui, je fais aussi la vaisselle et elle cuisine, je suis un féministe et c’est presque une suffragette !
Karel a appris à utiliser le tour puis je me suis dit que cet apprentissage prenait tellement de temps qu’il valait mieux départager les tâches. Il faut environ deux à trois ans d’études avant de savoir utiliser le tour convenablement. Ce n’est pas simple, du moins ça paraît simple au départ mais avec le temps on affine sa technique. C’est pour ça que dès le début, on s’est mis d’accord sur ce que j’avais à faire afin d’organiser notre travail.
Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre métier ?
Quand je peins, c’est très calmant, très agréable. Je suis très sensible à la couleur tandis que Karel est plus attiré par les formes. Ça ne m’empêche pas de le conseiller de temps en temps, et vice versa. À force de travailler et de vivre ensemble pendant tant d’années, on finit par penser à l’unisson.
J’aime que ce soit zen. Je travaille au tour, c’est un cercle infini. Ça ne me dérange pas de faire mille pièces identiques car à mon sens, elles sont toutes un peu différentes.
Dans quelles conditions aimez-vous travailler ?
Généralement dans le calme, surtout quand je créé un nouveau motif. Mon bureau est juste à côté de la fenêtre où j’aime observer notre jardin. Quand le travail m’est familier, je mets un peu de musique.
Nous aimons travailler la nuit, souvent nous sommes à l’atelier jusqu’à 2h du matin. Il nous arrive de regarder des films ou de suivre les informations. Tout cela est possible quand on réalise une étape répétitive qui ne demande pas trop de réflexion.
Quel est le processus de création pour la céramique ?
Il y a différentes phases. Quand je travaille au tour, je fais peut-être cinquante tasses d’affilée avant de former les anses. Tout cela doit sécher pendant trois à quatre jours. Ensuite, je dois les nettoyer avec de l’eau pour lisser la texture puis je les fais cuire une première fois.
Après un premier passage au four, je les peins. Les tasses vont cuire une seconde fois et devront refroidir, c’est un processus qui demande du temps. En théorie, je dirais que cela prend dix jours.
On aime trop notre vie pour ne penser qu’au travail et à l’argent.
Marta
Outre la vaisselle, vous faites aussi des objets artistiques…
Exactement, nous faisons des sculptures pour notre plaisir et pour notre âme que nous exposons. Nous en vendons très peu, peut-être trois pièces à l’année. C’est un art complètement différent c’est pourquoi pour vivre et manger, nous faisons aussi des tasses en grès !
Autant dire que nous en faisons énormément.
Envisagez-vous de vendre davantage de pièces à l’étranger ?
Nous pourrions vendre davantage mais ce serait un style de vie bien différent de celui qu’on a aujourd’hui. Nous vendons juste assez pour pouvoir vivre confortablement, ça nous suffit.
On aime trop notre vie pour ne penser qu’au travail et à l’argent. En janvier, nous prenons notre temps, nous sommes un peu paresseux. À partir du mois de février et jusqu’en avril, nous préparons la saison donc nous produisons davantage.