On s'est infiltré dans le quotidien de cabanoniers des Calanques à Marseille

Emmanuelle Luciani, artiste, historienne de l’art et fondatrice du Pavillon Southway à Marseille nous plonge dans ses souvenirs d’enfance passée à fleur d’eau dans un village de cabanons accroché aux calanques.

Dégun (personne en occitan, ndlr) ne nous aurait mieux introduit à la vie de cet irréductible village d’anciens pêcheurs qu’elle. Assise dans le salon du pavillon datant du XIXe siècle ayant appartenu à son arrière arrière grand-père maternel transformé en maison d’art, Emmanuelle est la fière descendante d’une famille de Calanquais. « Lorsque j’étais petite, mon rêve c’était d’habiter dans les Goudes. La vie en ville me paraissait nulle », confie la trentenaire dont l’enfance et l’adolescence ont été bercées par les flots de la Mer Méditerranée. « À l’époque, peu de personnes connaissaient le village de Sormiou, y compris parmi les Marseillais. Lorsque je revenais de vacances à l’école et que les élèves me demandaient où j’avais été pour être aussi bronzée, je passais pour une plouc ! » se remémore-t-elle en rigolant. « En trois mois on ne mettait pas un seul vêtement tant il faisait chaud. » Son jardin d’Éden a l’odeur de la garrigue battue par les vents : le thym, le romarin et la lavande mêlés aux embruns marins. C’est un petit bout de paradis niché au cœur des massifs calcaires s’étendant aux pieds de la cité phocéenne. 

Ici, tout le monde se connaît. Les plus jeunes sont identifiés par les noms des aïeuls. Au matin, on apprend à pêcher la totène (calamar en provençal, ndlr) avec le grand-père de l’un, à utiliser un girelier, une nasse tressée ressemblant à un panier pour attraper les petits poissons, avec la grand-mère de l’autre. L’après-midi, ça joue aux boules pendant que d’autres partent à la nage ou sautent des rochers. Le soir, ça s’enfile des sardines grillées et moult plaisirs iodés à même les doigts accompagnés d’aïoli maison. « J’étais en liberté totale. Souvent seule
en juillet avec les vieux du village, puis en août je retrouvais mes cousins avec lesquels j’ai le souvenir de nuits à dormir entassés les uns sur les autres dans le cabanon, » se remémore-elle. 

J’étais en liberté totale. Souvent seule en juillet avec les vieux du village, puis en août je retrouvais mes cousins avec lesquels j’ai le souvenir de nuits à dormir entassés les uns sur les autres dans le cabanon.

Emmanuelle Luciani, artiste et historienne de l’art

Le Calanquais plonge ses racines dans l’histoire de ces petites bicoques construites de bric et de broc par les pêcheurs face à la grande bleue pour y stocker leur matériel au XIXe siècle. « Ce sont des habitations modestes, avec une pièce à vivre et une mezzanine. Ils ont tous un toit à un seul pan pour faciliter la récolte des eaux de pluie et aller directement dans les citernes car il n’y a pas d’eau courante, ni d’électricité » décrit-elle. Un choix de vie assumé par les habitants du village de Sormiou y résidant de façon saisonnière pour les jeunes générations, permanente pour quelques-uns des plus âgés, afin d’éviter la surexploitation des lieux. « De jour on profitait de la lumière naturelle, de nuit c’était lumière à la bougie. » Un mode de vie et une architecture rustiques dans une nature préservée qui a inspiré nombre d’artistes et d’architectes comme les peintres de l’école provençale, Cézanne, Van Gogh ou encore Le Corbusier ayant posé les pierres de son propre cabanon à Roquebrune-Cap-Martin dans les années 1950. 

Au fil du temps, quelques panneaux solaires se sont tout de même mis à fleurir sur certains tandis que d’autres se sont dotés de groupes électrogènes à l’image du Château, le restaurant de son arrière grande tante que tout le monde surnommait Madame Rose. « Depuis, il a été repris par la famille Blanc, on y retrouve toujours de très bonnes soupes de poissons, des fritures de girelles (petits poissons, ndlr), des casserons (petits encornets, ndlr), et bien d’autres spécialités du coin », raconte Emmanuelle. À l’intérieur, tout est encore dans son jus. Les anciennes lampes à pétrole, le mobilier d’antan et les filets de pêche cohabitant avec les santons de Provence posés ça et là entre les photos de famille en noir et blanc. 

Parmi les 150 cabanons que compte Sormiou, chiffre figé depuis le classement des calanques en 1975, certains d’entre eux résistent au passage du temps et conservent leur patine d’antan, d’autres sont fragilisés et menacés de destruction. « Ma grand-mère a passé sa vie à restaurer le nôtre, à refaire les murs à la chaux. Contrairement aux calanques comme celles de Morgiou, de Port-Pin, de Port-Miou ou encore d’En-Vau, son accès difficile pendant de longues années où l’on devait même au siècle dernier monter ses bagages à dos d’ânesse, a permis de préserver tout un écosystème que l’on souhaite continuer de protéger. La route qui descend vers le village a été construite en 1957 par la ville, qui a mis à disposition des cabanoniers des laissez-passer » précise l’historienne de l’art enseignant également à Sciences-Po. 

En France avoir une maison sur la mer n’est réservé qu’aux plus riches, or ce qui fait la particularité des cabanons c’est qu’ils appartiennent à des personnes de milieux sociaux et d’âges différents, souvent sur des générations et des générations.

Emmanuelle Luciani, artiste et historienne de l’art

Depuis les politiques publiques de protection des calanques et la création du parc national en 2012, la fréquentation de cet écrin entre deux flancs de colline qui s’offre aux estivants s’est démultipliée. « Ce qui nous préoccupe le plus ce sont les villages où la spéculation foncière monte en flèche avec l’arrivée de vacanciers souhaitant y établir leur résidence secondaire. Des cabanons historiques comme Le Lunch à Sormiou où l’on pouvait déjeuner et dîner les pieds dans l’eau ont été détruits ! » s’insurge-t-elle. En cause, la loi littoral interdisant toute construction ou installation sur une bande de cent mètres à compter de la limite haute du rivage par souci écologique. « En France avoir une maison sur la mer n’est réservé qu’aux plus riches, or ce qui fait la particularité des cabanons c’est qu’ils appartiennent à des personnes de milieux sociaux et d’âges différents, souvent sur des générations et des générations. La ville de Marseille est populaire et c’est important qu’elle le reste. Ce n’est pas parce que ces habitats sont modestes qu’ils n’ont pas d’histoire. Je pense qu’il est possible de préserver un écosystème sociétal où l’homme et la nature cohabitent en harmonie sans passer par la destruction de ce patrimoine. » 

Aux Goudes comme à Malmousque et à Maldormé, les politiques de la ville de Marseille sévissent aussi. Et à l’image des calanquais redoutant une forte gentrification, Emmanuelle Luciani pointe certaines incohérences de ces dernières. « On interdit les concours de pêche du village où l’on ne sort pas plus de trois poissons de l’eau mais on laisse les égouts se déverser dans les calanques. On autorise l’afflux massif de touristes mais on met des bâtons dans les roues aux cabanoniers y vivant en divisant le nombre de laissez-passer par trois. » Son souhait le plus cher, que le village de Sormiou soit patrimonialisé. « J’ai eu un choc face aux disparitions successives de personnes âgées du village pendant la pandémie de Covid-19. Nous avions pourtant encore tant à apprendre d’eux. Le fait d’être historienne médiéviste fait que j’ai toujours eu un rapport particulier à la pierre, il y a une histoire magique entre celles-ci. Le temps s’arrête lorsqu’on se retire de l’agitation de la ville pour se rendre au village. On vit de la même manière que nos aînés, on se sert des mêmes objets, on refait les mêmes recettes de gâteaux, et ces petites choses ont leur importance dans un monde en accélération permanente. C’était mon refuge hier et ça l’est encore aujourd’hui. » Avec son amie photographe Julie Liger, Emmanuelle travaille sur la création d’un ouvrage photographique dédié à cette vie particulière de cabanonier. « Je souhaiterais que l’on puisse proposer une errance poétique dans les calanques évoluant au fil des saisons ponctué de portraits de ses habitants afin d’en saisir toute la beauté. » 

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Pavillon Southway

Maison d’art et chambre d’hôtes
433 boulevard Michelet, 13 009, Marseille
Journaliste
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Anouchka Crocqfer
Anouchka est journaliste chez Mint Magazine. Passée dans les colonnes de L'Express Styles, du Parisien, de Néon, et de Bon Temps elle arpente les rues à la recherche de nouvelles tendances lifestyle.
Photographe
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Stéphanie Davilma
Stéphanie est photographe et aime inscrire son travail dans la lenteur. Celle de l'errance, de l'observation et du choix d'un sujet, aussi bien dans l'image que dans l'écriture.

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