On pourrait le reconnaitre uniquement à son ombre, si singulière. De larges épaules, un corps trapu, une bosse sur le dos, une tête noire et basse, de cornes recourbées vers le haut et un arrière-train très mince. Le bison d’Amérique. Avec ses grands yeux sombres et ses larges narines, l’animal impressionne. Il faut dire que son 1,80 m au garrot et son corps d’une tonne font du bison bison l’un des mammifères les plus imposants du continent. Son cousin d’Europe, le bison bonasus, est plus élancé. Il possède des cornes plus longues et évolue surtout dans les forêts.
A l’état sauvage, bisons et bisonnes d’Amérique vivent en petits groupes. Les mâles se déplacent en petites bandes tandis que les mères et les bisonneaux restent souvent par groupe de vingt. Pacifiques, ces animaux ne perdent pas de temps à se battre, sauf s’il s’agit de gagner le cœur d’une bisonne. Ils préfèrent passer leur journée à se rouler dans la boue, avant de se frotter contre des branches pour se nettoyer. Herbivores, ils broutent paisiblement jusqu’à la tombée de la nuit. Pour autant, ils savent être agiles et vifs lorsqu’il faut fuir un danger.
Il y a deux siècles, l’animal fétiche des Indiens a failli disparaître. Un massacre pour se divertir, une chasse qui devient un sport. Alors que les Indiens veillent à ne jamais tuer plus de bisons que nécessaire, les colons, eux, n’ont pas cette délicatesse et en abattent des centaines de milliers. A la fin du 19ème siècle, pendant les guerres contre les Indiens, les Américains exterminent les bovidés sauvages afin d’affamer leurs ennemis. Buffalo Bill, ou « Bill le bison », raconte à qui veut l’entendre qu’en un an et demi, il en aurait tué 6 400… Une loi sauve finalement cet animal en l’introduisant dans des parcs naturels aux Etats-Unis et au Canada. Aujourd’hui, en Europe comme en Amérique, on veille à la protection de cette espèce. Dans la région de Megève, Dominique Méridol, a choisi d’en élever une trentaine au pied du Mont Joly…
Une fois adulte, cet amoureux de la « vraie » montagne, reprend l’exploitation familiale : un élevage de bovins au domaine de la Sasse. Au bout de quelques mois, à cause du régime des quotas laitiers mis en place par l’Union Européenne pour stabiliser la production laitière, il est contraint de renoncer à ses vaches. Mais ce passionné n’a pas dit son dernier mot… Il part en Normandie avec une idée folle : acheter dix bisons des plaines, tout droit venus du Canada, et les élever au Domaine de la Sasse pour en obtenir de la viande.
A l’époque, Dominique est le seul à y croire. Maîtriser la production de viande de l’élevage à l’assiette ? Pour beaucoup, son projet relève du délire. Alors, il apprend, seul, à les abattre, à transporter la viande, à la conserver et à la cuisiner. Riche en protéines, pauvre en graisse et en cholestérol, cette viande est excellente au goût et à la santé. Le Megèvan aménage la ferme familiale en « restaurant », tout en bois, avec vue sur les écuries où se trouvent les purs sangs arabes qu’il élève. A 2500 mètres d’altitude, une trentaine de bisons du domaine gambadent et l’éleveur veille à les approcher le moins possible : plus les bêtes sont tranquilles, meilleure est la viande.
Pour accéder au domaine, les clients ne peuvent pas compter sur leur voiture. Si les paresseux optent pour l’hélicoptère (400 euros tout de même), il est plus économique de parcourir à pied, pendant 30 minutes, la piste plutôt raide qui mène au domaine. Après tout, un repas gastronomique, ça se mérite !
Au menu du Domaine de la Sasse, on trouve du bison bien sûr, sous toutes ses formes possibles : saucisson, carpaccio, viande séchée, terrine… Ouvert toute l’année, le restaurant ne fonctionne, cependant, que sur réservation pour des groupes de 6 à 30 personnes. Parmi ses clients figurent de grands chefs comme Guy Savoy: l’adresse est réputée à Megève et on se précipite pour déguster le bison dans des formules à 100 ou 120 euros.
Pendant des années, l’ancien moniteur de ski abat cinq bisons par an, toujours au milieu de son domaine, les carcasses et les viscères étant trop difficiles à descendre dans la vallée. Mais en 2007, l’histoire se corse. Il se retrouve au tribunal de Bonneville. Les conditions d’abattage et de découpe des carcasses sont, notamment, mises en cause. Par manque de preuves, sans doute, Dominique n’est pas poursuivi.
Quoiqu’il arrive avec la justice, ce cowboy un peu rebelle ne baissera pas les bras. Il a changé une fois d’activité, renoncé à ses vaches, et il s’est promis que cela n’arriverait plus jamais. A ce jour, les bisons paissent tranquillement dans les prairies : espérons que ni un nouveau procès, ni Buffalo Bill ne viendront les déloger…