Auroville Papers, papeterie vertueuse au cœur de l'Inde

Aucun arbre n’a été coupé pour la confection de son papier. La papeterie éco-responsable, éthique et à rebours des méthodes industrielles contemporaines fait figure d’exception. Installée en plein cœur de la cité utopique d’Auroville en Inde dont elle tient son nom, elle séduit autant qu’elle intrigue par son organisation au sein d’une communauté singulière.

La possibilité d’une ville. Tel était le rêve de la française Mirra Alfassa (1878-1973) ayant posé la première pierre de sa cité rêvée dans l’état du Tamil Nadu au sud de l’Inde en 1968. Le projet ? Fonder un lieu de vie communautaire où femmes et hommes apprendraient à vivre en paix dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités. Son nom ? Auroville. Érigée sur un vaste désert de terre rouge balayé par les vents chauds, la citadelle de la compagne du penseur, poète et yogi indien Sri Aurobindo s’est métamorphosée en écrin de verdure au fil des années. En son centre, le temple Matrimandir. Dans la région, on en croise par centaines. Mais celui-ci se démarque par son architecture composée d’un dôme doré et imposant autour duquel les plans de construction de la ville de l’Aurore se sont articulés. Ici, on vit au rythme de Dame Nature et de la méditation. L’énergie provient d’éoliennes et de panneaux solaires. L’irrigation est économe en eau. Un système de recyclage des déchets est imposé partout. Et son mode d’agriculture est entièrement durable afin de préserver les nappes phréatiques.

Une utopie verte devenue synonyme d’Éden pour beaucoup de citadins de tous horizons venus s’y installer. Serge Brelin, fondateur de Auroville Papers est de ceux-là. C’est en 1996 que cet ancien éditeur de l’Hexagone fera germer l’idée d’une papeterie aux procédés de créations novateurs pour l’époque. Et ce, dans le but de préserver l’écosystème fragile des terres arides de cette éco-ville ayant éclos à une dizaine de kilomètres de Pondichéry.

« Au fil du temps, nous avons développé plusieurs méthodes de fabrication audacieuses grâce à l’utilisation de végétaux et de textile recyclé » raconte Luisa Meneghetti. L’aurovilienne d’origine italienne s’est établie ici il y a une vingtaine d’années. Très vite séduite par la dimension vertueuse et sociale du projet de son acolyte, elle deviendra directrice générale de cette manufacture à taille humaine employant trente-sept personnes dont 72% de femmes venant des villages alentours.


Nous concevons et confectionnons notre papier comme un tisserand travaille ses étoffes

Luisa Meneghetti

Quotidiennement, les chutes de tissus des entreprises voisines travaillant uniquement à partir de coton biologique sont récupérées, tout comme les papiers et cartons des écoles et bureaux aux alentours. Fidèle au principe de Lavoisier -rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme- dans les locaux bâtis par l’architecte allemand Poppo Pingel et l’architecte italien Pino Marchese. Entre leurs murs de pierre laissant passer une douce lumière tamisée par la frondaison abondante des arbres, les artisans aurovilliens s’affairent minutieusement à leur tâche.

Pendant que l’un découpe les tissus en petits morceaux qu’il entasse dans de gigantesques bacs en bois, un autre les apporte au batteur Hollander. Cette impressionnante machine industrielle datant du 17e siècle est activée manuellement. Elle se compose de rouleaux de lames qui réduiront les lambeaux de textile ou les différents éléments de végétaux en une sorte de pulpe humide: la pâte à papier. Après avoir été récupérée, une partie est stockée dans des petites cuves où des pigments naturels peuvent être ajoutés afin d’apporter de la couleur. L’autre sera rincée, puis étalée sur un plan de travail avant d’être pressée à l’aide d’un tamis. Ce sont ces cadres en bois au maillage plus ou moins serré que l’on doit l’épaisseur de la feuille ainsi que son grain si particulier qui se révélera une fois séché. Mais avant cela, l’eau doit être extraite au maximum de ces dernières aussi imbibées que des éponges. Disposées soigneusement une à une entre deux couches de chiffon blanc, elles seront essorées sous le poids d’un lourd instrument de compression. Pour si peu d’épaisseur, nous sommes impressionnés par leur bruyant et long ruissellement. Fin prêtes à êtres laissées au repos pour quelques jours, elles sont entreposées dans une pièce aérée à l’abri du soleil et de l’humidité. Mais le processus ne s’arrête pas là.

Feuilles séchées d’acacia, d’eucalyptus, de bauhinia ou encore de kadamba fraîchement ramassées, toutes viendront imprimer la délicatesse de leurs formes à même la matière

Outre leur conception vertueuse, ce qui fait la particularité des créations d’Auroville Papers, c’est tout le travail d’orfèvrerie venant ensuite. Dans les seconds bâtiments renfermant les ateliers, les petites mains
s’attèlent à l’aplanissement et à la découpe des grandes feuilles de papier qui seront décorées de motifs peints à la main ou sérigraphiées avec des végétaux.

Feuilles séchées d’acacia, d’eucalyptus, de bauhinia ou encore de kadamba fraîchement ramassées, toutes viendront imprimer la délicatesse de leurs formes à même la matière. Couvertures de carnet, enveloppes, pochettes à rabat, posters et autres éléments de papeterie… On est happés par la beauté de leur composition pareille à des herbiers consciencieusement élaborés. Parmi les modèles retenant particulièrement notre attention, les cartes et les sets de papiers à lettre n’ayant rien à envier aux plus précieux des parchemins tant la finesse d’exécution est remarquable.

Ayant plus d’une corde à leur arc, quelques parties de leurs productions sont aussi dédiées à la confection de bijoux et d’objets décoratifs en papier mâché dans un joyeux méli-mélo de formes de couleurs. Des techniques de création aux différentes méthodes d’ornements, curieux et globe-trotteurs de passage à Auroville sont également invités à laisser libre court à leur créativité lors d’ateliers mis en place régulièrement. Une ode à la nature et à la collectivité des plus heureuses.

-> Article à retrouver dans le Mint#20

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Anouchka Crocqfer
Anouchka est journaliste chez Mint Magazine. Passée dans les colonnes de L'Express Styles, du Parisien, de Néon, et de Bon Temps elle arpente les rues à la recherche de nouvelles tendances lifestyle.
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Johanna est une artiste interdisciplinaire basée à Londres. Sa pratique recèle souvent des messages écologiques, partagés par le biais de méthodes douces et délicates.

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