Ça veut dire quoi, la Chassagnette ?
Le nom désigne deux choses. C’est à la fois un petit domaine de chasse et l’endroit où il y a des chênes. Avant d’être un restaurant, le lieu était une bergerie.
Vous avez pris la tête de la Chassagnette à 29 ans. Comment se sont passés vos débuts ?
J’étais déjà venu comme client et quand j’ai su que l’équipe cherchait un chef, je suis revenu. Il s’est passé quelque chose. Ma rencontre avec Maja Hoffmann (la propriétaire des lieux, ndlr) a été assez incroyable : elle est la première à avoir cru en ma capacité à travailler les produits. Je lui ai fait une dégustation et elle m’a fait confiance. Maja m’a donné la possibilité de pouvoir m’exprimer à travers une cuisine, un lieu. J’ai eu beaucoup de chance.
On dit de vous que vous êtes le magicien du végétal, que vous travaillez les légumes avec une précision incroyable. Cette passion est-elle venue à votre arrivée dans ce restaurant ?
J’ai toujours été très proche des légumes parce que mon arrière-grand-mère en vendait sur le marché de Montpellier. J’ai pu ensuite faire l’apprentissage des légumes avec Monsieur Ducasse, dans son restaurant Essex House à New York, pendant six ans. Il est l’un des premiers grands chefs à avoir travaillé ces produits là et c’est vrai que je me suis vite senti très à l’aise. En 2006, j’ai eu un coup de foudre pour ce lieu. Il y a eu cet échange entre le jardin et moi qui a opéré.
Comment votre jardin donne t-il le tempo à vos menus ?
Quand j’ai été embauché, je suis arrivé le premier jour avec le calendrier des produits de saison. C’était le mois d’avril. J’ai dit au jardinier de l’époque : « On doit avoir ça, ça, ça ». Il m’a répondu qu’ici, en Camargue, c’était différent. Qu’il fallait ? attendre. Je l’ai écouté et j’ai attendu. Je suis allé dans le jardin tous les jours pour former mon palais, la mémoire du goût et j’ai laissé l’inspiration venir.
Avec vous, le jardin s’est développé au point d’être quasiment autosuffisant…
Oui, on a aujourd’hui 160 variétés (de végétaux), des serres pour l’entre-saison et nos graines sont toutes bio. Quand je vais à l’étranger, je ramène des herbes et je les laisse s’acclimater à la terre.
Vous avez aussi appris à cuisiner les plantes sauvages ?
Je le dois à ma rencontre avec Nicole, botaniste, qui organise des journées de formation cueillette à la Tour du Valat, des marais gérés par les habitants. Il y a trois ans, je suis allé voir ça et ça m’a vraiment plu. J’ai commencé à cuisiner le pourpier et petit à petit je me suis formé. Depuis, je vais à la cueillette une fois par semaine dans les collines.
D’où vous vient votre amour de la cuisine ?
De l’envie de se retrouver ensemble autour d’une table. C’est ça qui m’a amené vers ce métier. J’ai commencé à en vivre à 16 ans mais je cuisinais déjà avant, dans ma famille.
Quelle était votre recette préférée à l’époque ?
Je faisais beaucoup de tartares. J’ai mangé très jeune de la viande crue car mon père adorait ça. Je mangeais du cheval. Je sais qu’aujourd’hui ça fait grincer des dents mais c’est vraiment délicieux et extrêmement fin. Il y avait une boucherie chevaline avant, le samedi sur le marché, et c’est moi qui faisais le tartare aux équipes le samedi matin. Avec des frites.
Comment a évolué votre cuisine ?
Avant j’étais très influencé par mon passé. Je mettais beaucoup de souvenirs dans ma cuisine donc c’était difficile à gérer quand les choses ne se passaient pas bien. J’ai réussi à évoluer dans la sérénité. C’est un peu comme le jardin : vous plantez une graine et ça devient une plante puis les bourgeons apparaissent… Il y a sans cesse un besoin de rechercher un niveau d’excellence et de le conserver.
Cette sérénité a t-elle été perturbée par l’arrivée de l’étoile ?
Non, c’est le regard du client qui change un peu parce qu’il n’est plus forcément dans la découverte, il est dans l’attente. On a toujours reçu les gens avec beaucoup de simplicité. Il peut y avoir des loupés mais on a la liberté de pouvoir faire des erreurs pour avancer. Je n’ai pas une pression folle, ça m’arrive de trébucher mais on trouve des solutions. Notre cuisine dépend d’une personnalité très vivante qui est le jardin et on essaye de vivre en harmonie avec ça, sans chercher des compromis. Chez moi, il n’y a pas de foie gras, c’est pas grave ! Il n’y a pas de homard, c’est pas grave ! Il n’y a pas de caviar, c’est pas grave ! Le fait d’être dépendant est ce nous rend créatifs.
Dans ce métier, on utilise tous ses sens, j’arrive maintenant à cuisiner à l’oreille.
Armand Arnal
Vous êtes l’un des rares restaurants sans gluten à être étoilé. D’où vous vient ce parti pris ?
Je n’aime pas le mot « sans », je trouve que c’est terrible quand on est chef. Pour moi un cuisinier c’est une personne généreuse. Je cuisine « avec » de la farine de riz. Mon approche était d’abord locale et j’ai rencontré des gens qui avaient une intolérance : je me suis dit que la cuisine devait se partager avec tous et je me suis à travailler sur ce projet. Je me suis fait aider par la cuisinière Nadia Sammut qui s’y connait bien et on a développé les recettes avec mes équipes. Mon pâtissier de l’époque était complètement paniqué dès qu’ on lui enlevait quelque chose. Je lui ai dit : « Dis-toi que tu travailles avec un nouvel élément et lance-toi ! » À partir de là, tout s’est bien passé.
Quelle a été la réaction des clients ?
On a mis un moment à mettre notre pain à la carte. La discussion était fermée. Pour plusieurs clients, dans un resto étoilé, on devait servir du pain avec de la farine de blé. Et puis on s’est dit que quoiqu’il arrive, on pouvait essuyer les critiques alors on a continué. C’est l’éternel dilemme : les clients locaux ont envie d’avoir une expérience nouvelle et surprenante et les clients internationaux s’attendent à avoir un produit du terroir. Il faut trouver un équilibre en faisant voyager les gens avec des produits locaux.
Votre voyage au Japon il y a onze ans a-t-il a changé votre manière de travailler les plats ?
Ça a influencé ma façon de voir les choses. Chaque produit doit avoir sa place dans une dégustation et c’est ce qui m’a le plus marqué au Japon. Dans la cuisine française, on doit avoir un liant, créer un troisième goût à partir de deux ou trois éléments. Au Japon, tout est dissocié, chaque chose a sa place mais l’harmonie opère et je trouve ça passionnant. J’ai essayé d’apporter ça dans ma cuisine.
D’ailleurs quand nous étions en cuisine, vous nous avez confié que vous pouviez cuisiner à l’oreille …
Ce qui est merveilleux dans le métier de cuisinier, c’est qu’on peut tout le temps utiliser ses sens. Une fois que j’ai trouvé une bonne température dans laquelle cuire un poisson ou un légume je peux, sans regarder, entendre quand l’eau de végétation s’est évaporée car le crépitement commence. Parfois, c’est le toucher qui est important. Lorsque mon second me fait goûter un velouté d’herbes amères, ce qui m’intéresse ce n’est pas le goût qu’il va avoir, c’est sa texture. Est-ce que ce velouté, plus épais, aurait donné les mêmes sensations ? Il faut trouver un équilibre pour que l’on sente la mâche de la feuille et tous les éléments qui composent ce plat, comme dans la cuisine japonaise.
Vos racines sont ancrées dans le sud de la France mais prévoyez-vous d’ouvrir des adresses à l’étranger ?
Je suis en train de réfléchir, avec Thierry Chouquet, un ami que j’ai rencontré à New York, d’un projet à Mexico. Il tient le café Milou à Condesa. Au Mexique, il y a une vraie richesse de produits et j’aime bien ce côté populaire qu’on retrouve aussi en Italie et au Vietnam. Une cuisine de rue incisive, populaire, franche et assumée. C’est quand même assez bluffant de se dire qu’en une bouchée, on peut avoir toutes les sensations qu’on recherche. On est donc en train de parler d’un projet qui relierait différentes cultures.
Et quels sont vos autres projets ?
En octobre prochain, Maja Hoffmann ouvrira à Arles l’hôtel L’Arlatan, où je proposerai une carte méditerranéenne. On travaille aussi autour d’un projet pour la tour de Franck Gehry (de la Fondation Luma, ndlr) où on organisera des dîners éphémères. Et puis je souhaite inviter des chefs en résidence à la Chassagnette. Taku Sekine (Dersou) est venu en juin pour des déjeuners à quatre mains et Atsushi Tanaka (At) aimerait beaucoup venir mais il doit trouver le temps car à Paris tout le monde court (rires).
Les spots arlésiens d’Armand Arnal
Le Buste et l’Oreille
Ce bar à vins est aussi une épicerie fine qui propose des produits italiens et espagnols sélectionnés avec soin. On y va pour goûter du fromage et de la charcuterie et même y trouver des livres et des vinyles, c’est assez fou.
3, Rue du Président Wilson
Moustique
On a beau s’en plaindre beaucoup en Camargue, on les aime bien, les moustiques. Cette boutique crée des broches, de la vaisselle et des sacs à leur gloire.
2, Rue Jouvène
Mon bar
J’aime beaucoup l’ambiance de ce bar, en plein centre-ville. J’y vais souvent pour prendre un café. On peut aussi déguster des spécialités provençales comme le tian d’aubergines ou des plats créoles.
2, Place du Forum
La marchande des 4 saisons
J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette galerie d’art qui est installée sous une voûte. Elle met en vente des objets et du mobilier renouvelés à chaque saison.