J’ai entendu dire que tu habitais le quartier autrefois ?
J’ai habité ici pendant 7 ans, au 49bis rue des Cascades. Je suis né en banlieue à Nanterre, j’ai grandi à Cachan puis je suis arrivé aux Abbesses au début des années 90. Il y avait une ambiance toute particulière avec les cafés populaires qu’on a perdus. Il en reste quelques-uns dans des recoins du 20e… Les bobos ont pris racine ici mais ils se sont adaptés et mélangés.
Qui sont les bobos ?
Je suis un bobo. Un bobo c’est quelqu’un qui a les moyens de choisir où il va manger, où il va habiter et où il va partir en vacances.
C’est vrai qu’il y aurait beaucoup à dire sur la métamorphosedes quartiers populaires…
Personne ne voulait vivre aux Abbesses jusque dans les années 80. C’était un quartier ouvrier et populaire. Parfois même de voyous, faut pas oublier que c’est le quartier de la bande à Bono. J’ai bien connu la fin des années 70 et le début des années 80, je connaissais les mecs du coin. C’était pas des lascars mais fallait pas les faire chier, ils étaient chez eux. C’est l’attitude que leur avaient légués les anciens voyous corses, siciliens, ou algériens d’après-guerre. Et à cette époque il y avait une forte culture des artistes qui se mélangent à la voyoucratie et à la bourgeoisie. Cet esprit-là existait encore quand j’y étais.
Tu faisais quoi comme boulot à l’époque ?
J’étais chauffeur de grande remise puis j’ai aussi fait de la ventouse dans les sociétés de mon frangin, il s’agit de réservation d’emplacements pour les sociétés de tournage de films.
C’est comme ça que tu es entré dans le monde du cinéma ?
Je suis un accident dans ce métier. C’est le réalisateur Rachid Djaïdani qui m’a repéré aux soirées de mes frangins. J’ai deux frères qui ont le label Big Cheese Records, à fond dans la funk et la soul. Je le voyais régulièrement parce que je faisais pas mal la sécurité pour ces soirées car on considérait que je savais parler aux jeunes des quartiers. Rachid aimait ma ganache, il aimait ma gueule. Un jour il a proposé d’écrire un film sur nos histoires, il en avait marre que des gens qui viennent d’ailleurs racontent nos histoires à nous. Un peu comme La Haine qui raconte la banlieue à travers le prisme d’un bourgeois. La même année sortait Hexagone de Malik Chibane qui est resté deux jours en salle. Ce film parlai réellement des banlieues. La Haine est une accumulation d’effets de style, de clips très bien réalisés. Mais il n’y a aucune étude sociologique sur les banlieues, rien. Un film comme Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef parle vraiment des banlieues, comme Céline parle des quartiers quand il était médecin dans les villes de banlieue, sa vision de l’organisation de la société chez les ouvriers est d’une véracité… Il ne raconte rien et tu vois tout. Il n’explique rien, mais tout est dit.
En parlant de films engagés, tu es aussi l’auteur d’Indigène de la nation,un livre éminemment politique…
Ce livre c’est mon histoire. Mes questionnements concernant l’absurdité autour de mon identité. Indigène de la nation est non seulement un acte politique, mais aussi un hurlement de colère. Je suis né en France en 1960 à Nanterre, donc en métropole, et je me retrouve encore avec une carte de résidence. Je n’ai pas le droit de vote et je ne suis pas français. Ce qui a généré cette colère et ce travail d’écriture, c’est mon travail d’acteur. Aujourd’hui je suis sollicité dans pas mal de pays dont les Etats-Unis, autant dire que cette situation complique souvent mes déplacements professionnels.
Tu es rentré la semaine dernière d’un tournage de plus de trente jours aux côtés de Tony Gatlif qui s’est passé en Camargue, c’était comment ?
Je joue le rôle de Ulysse, un manadier (éleveur de troupeaux de chevaux et de taureaux, ndlr). C’est l’un des rôles principaux, je joue un type qui récupère des jeunes en passe de devenir majeurs ayant eu pas mal de démêlés avec la justice. Le sursis peut se transformer en ferme et je suis donc leur dernier recours. Ulysse n’essaie pas de les guider mais de leur apprendre le métier de gardian, très vite on se rend compte qu’au contact des animaux, les jeunes redeviennent innocents, leur rage n’existe plus. Tout ça c’est aussi l’histoire de Tony Gatlif. Il y a un jeune, dont le rôle est tenu par David Murgia, avec qui Ulysse tisse des liens, c’est quelqu’un en quête d’identité qui a une colère qu’il n’arrive pas à contenir face à l’injustice, quelle qu’elle soit. Il devient utra-violent. Toute l’histoire se construit autour de leur rencontre, des chevaux et bien évidemment la Camargue qui est le personnage principal.
Tu connaissais un peu le territoire ?
Je ne connaissais pas mais aujourd’hui je suis un vrai gardian : je sais monter à cheval, je sais faire le tri des taureaux. Dis-toi que je parle même le provençal dans le film.
Quitter un rôle doit être difficile quand tu t’imprègnes à ce point, non ?
Oui, je suis encore entre deux eaux, je ne suis pas encore redescendu. C’est super dur de revenir à la vraie vie. Ce rôle est très fort et il faut vite que je recommence un autre film pour pouvoir sortir du personnage d’Ulysse. Le provençal ça me reste (il déclame un texte, ndlr), et il suffit que je boive deux bons canons pour que tout me revienne parfaitement !
Comment en es-tu venu à t’intéresser au vin ?
En buvant. Puis j’ai découvert le vin nature par le biais de Kamel Tabti le patron du Grand Huit chez qui j’étais client. On était voisins des Abbesses, c’est un mec du 18e… Kamel était aussi un client de La Mascotte, j’aimais bien y aller à l’époque. C’était un petit bar où tout le monde se mélangeait, les parents, les voyous, les artistes. Kamel je l’ai rencontré vers 2008, on buvait des coups puis quand il a créé Le Grand Huit en 2009, c’est devenu ma cantine. J’y allais tout le temps, j’y ai ramené mes potes du show-biz qui avaient un peu de blé. Des auteurs, des réalisateurs, des comédiens, des chefs opérateurs. Des gens qui aiment bien manger et bien boire.
Ce que j’aime plus que tout, c’est les bouibouis où ça sent bon la mama qui fait la cuisine. J’essaye d’aller là où il y a le peuple, c’est comme ça que j’aime voyager et découvrir.
Slimane Dazi
Quels sont les vins que tu aimes bien ?
J’aime beaucoup les vins du Jura. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus digeste, de plus goûtu… Qu’est-ce que tu veux de plus ? Comme les vins de Philippe Bornard qui m’a présenté tout le monde dans la région… Je pense aussi à Fabrice Dodane et bien évidemment à ceux de Ganevat. J’aime aussi les vins du Beaujolais comme ceux de Kéké Descombes.
Est-ce que tu as un lien fort avec la cuisine ?
Oui mais je ne cuisine pas, on a toujours cuisiné pour moi. Ma mère devait cuisiner pour une famille nombreuse donc elle faisait surtout une cuisine traditionnelle algéro-berbère ou des plats de pauvres. Par exemple, des frites mélangées avec des œufs, c’est super bon.
Étant un grand amateur de cuisine grecque, est-ce que tu vois des similitudes avec la cuisine de ta mère ?
Bien-sûr, une façon de faire assez simple avec des produits méditerranéens comme l’huile d’olive, les courgettes, les aubergines, les tomates, la salade… « Qui mange salade, jamais malade». Mon père était berger quand il avait 9-10 ans au début des années 30. Quand il partait travailler, il avait juste un bout de pain que sa mère avait fait dans un four en pierre, un oignon, une tomate et c’est tout. Pas de sel, rien. Il n’avait pas grand chose et il regardait ses brebis toute la journée. Quand il nous raconte ça, c’est comme écouter un poème. T’as l’impression qu’il mangeait chez Ducasse quand il te parle de ces instants simples qui le rendaient heureux.
Et finalement c’est ce que tu aimes aussi, la cuisine simple…
Pour te dire la vérité je suis assez chauvin mais la cuisine grecque j’adore ça. Ce que j’aime plus que tout, c’est les bouibouis
où ça sent bon la mama qui fait la cuisine. J’essaye d’aller là où il y a le peuple, c’est comme ça que j’aime voyager et découvrir.
Tu as dû te régaler à Arles d’ailleurs !
J’ai mangé au Gibolin pendant 4 mois, c’était ma cantine. Le restaurant est tenu par Brigitte Cazalas et Luc Desrousseaux. C’est très très fin côté cuisine. À Paris j’ai mes habitudes au Baratin… J’ai non seulement un faible pour la cuisine de Raquel mais aussi pour le personnage de Pinuche. On partage la même passion pour la musique et la littérature, même si on n’est pas toujours d’accord! Ce que j’aime c’est m’asseoir au comptoir et discuter avec lui. J’aime bien aller dans les endroits où je connais les gens mais il faut que l’assiette suive !
Alexandros Rallis verse une généreuse rasade d’huile d’olive Profil Grec sur des morceaux de pain qu’il saupoudre de flocons de piment séché.
On dirait qu’il est l’heure de passer aux choses sérieuses. Bon ap’ !