Tu vas plus souvent au restaurant que tu ne cuisines, non ?
Je sors souvent dîner avec mes amis ou mon amoureux. J’adore Ama Siam rue de Belleville ! J’aime aussi Petit Navire que je trouve un peu décalé avec ses airs de bateau breton qui diffuse de la musique antillaise. J’aime Le Grand Bain et La Cave de Belleville aussi… Mais la cuisine c’est vrai que ce n’est pas forcément mon truc. Je préfère la pâtisserie !
Tu préfères jouer les commis ?
Et encore ! C’est plutôt mon copain qui cuisine, il est dans sa période baos. On en a goûté chez Hara Kiri (rue du Faubourg Saint-Denis dans le 10e arrondissement- ndlr) et il s’inspire de cette recette. Je ne mets pas trop la main à la pâte, je préfère lui parler, lui servir un verre de vin… Je suis plutôt commis dans le dialogue !
Tu n’arrives pas à t’évader quand tu cuisines ? À atteindre cet espèce d’état quasi-méditatif ?
Je vois ce que tu veux dire mais je ne comprends pas trop ce truc de méditer en épluchant des légumes. J’écoute souvent des émissions de radio. Si tu aimes Almodovar, je te conseille de cuisiner en écoutant la bande-originale de Tout sur ma mère ou celle de Volver… Ça me fait penser à cette scène où Penélope Cruz coupe des tomates.. C’est très beau.
Qui cuisinait à la maison quand tu étais petite ?
Mon père cuisine beaucoup. Il a un film taïwanais qu’il aime beaucoup qui s’appelle Salé Sucré, du réalisateur Ang Lee. Durant tout le film, les protagonistes ne font que cuisiner et manger. C’est subtil et poétique. Mon père achetait beaucoup de bouquins de cuisine et j’ai grandi en le regardant faire. C’est assez rare que le père soit aux commandes de la cuisine… Oui, finalement ma madeleine de Proust c’est sa cuisine… Ou sa tarte au citron meringuée! Il m’a appris à la faire, ainsi que le Paris-Brest qui sont nos gâteaux préférés.
C’est des recettes plutôt techniques !
C’est simple, pour faire un Paris-Brest il faut avoir six heures devant soi ! Je ne fais ces recettes que quand je suis avec lui, on met de la musique et on fait des gâteaux ! On essaye de reproduire le Paris-Brest de Pierre Hermé car on était fan de ses macarons… Il a sorti un livre de recettes mais je crois qu’il ne donne pas ses astuces de chef : tu peux faire la recette au pied de la lettre, ça ne sera jamais celui que tu achètes dans sa boutique.
J’ai l’impression que les rôles me traversent et qu’avec le temps je m’en détache mais qu’ils restent un peu. Le rôle et surtout la période de tournage, car c’est un événement bouleversant dans une vie.
Nailia Harzoune
Comment se passe ta rentrée dans ce contexte si particulier ?
C’est très difficile pour les métiers artistiques. Je tourne dans Gone For Good, une série adaptée d’un roman d’Harlan Cohen pour Netflix. Je tourne également dans un long métrage de Nessim Chikhaoui qui va s’appeler Maison d’enfants. C’est l’histoire d’une éducatrice spécialisée et il se trouve que c’était le métier de ma mère. Une histoire assez dure. Tout à l’heure on parlait de mon rôle dans Patients de Grand Corps Malade, et je réalise en effet que je ne tourne que dans des drames !
Pourtant tu ne manques pas d’humour !
Ça doit être ma tête! Seuls Baya Kasmi et Michel Leclerc m’ont proposé des rôles un peu décalés. Les deux projets sur lesquels je travaille en ce moment relèvent à nouveau du drame. Je veux faire de beaux projets, qu’importe s’ils sont drôles ou non. Ce qui compte pour moi, c’est de me battre pour ne pas représenter des femmes catégorisées par leurs origines. On me propose trop de rôles de jeune femme maghrébine en proie à la violence d’un père ou de frères, qui doit se libérer d’une pression familiale et sociale. Ce n’est pas normal, il n’y a pas que ça. Certains fantasment ce qu’est d’être une jeune femme d’origine algérienne, marocaine ou tunisienne en France et j’en ai marre d’être réduite au reflet de leur projection. C’est quelque chose
de très présent dans le cinéma français et il faut y faire attention. Dans Patients, mon personnage s’appelait Samia mais à aucun moment on ne lui jette un sort, elle est définie par sa personnalité et non un contexte socio-culturel.
Quand tu joues des rôles difficiles, est-ce qu’ils ont tendance à t’absorber ?
J’ai l’impression que les rôles me traversent et qu’avec le temps je m’en détache mais qu’ils restent un peu. Le rôle et surtout la période de tournage, car c’est un événement bouleversant dans une vie. Tu passes deux à trois mois avec les mêmes personnes. Je me souviens d’un retour à la réalité particulièrement difficile avec Taularde d’Audrey Estrougo, qu’on avait tourné dans une prison vers Rennes. Quitter le rôle et le groupe a été comme une déchirure. De même pour Patients, c’est comme quitter une colonie ou un amour de vacances.
Tony Gatlif est rare dans ce qu’il fait, dans sa manière de réaliser et de proposer ses films. Il te donne le scénario et te dit que tu n’es pas obligée de le suivre et que tu peux juste le sentir.
Nailia Harzoune
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce métier?
J’y suis arrivée par hasard, je faisais de la danse contemporaine quand j’étais petite et j’ai continué au conservatoire à Paris pendant mes études à Sciences Po. Jusqu’à mes 17 ans, j’en faisais 20 heures par semaine. C’est grâce à la danse que j’ai réalisé que mon corps pouvait être un outil et que travailler pouvait me permettre d’aller au-delà de choses qui me semblaient irréalisables. Un agent est venu voir un atelier de danse et m’a repérée, j’ai passé quelques castings pour rigoler et un jour je me suis retrouvée face à Gatlif.
C’est quel genre de réalisateur ?
J’avais 19 ans quand j’ai tourné avec lui dans Geronimo et je me suis dit que c’était tout ce que je voulais faire. Tony Gatlif est comme un chaman, j’avais pas d’expérience mais je savais que j’étais face à quelqu’un qui venait d’un autre monde. Je connaissais bien ses films j’avais beaucoup aimé Gadjo dilo ou Transylvania…
La force des femmes dans Transylvania ! Tu te souviens de la scène où Asia Argento casse toutes les assiettes en dansant sous le regard d’Amira Casar ?
Oui, c’est tellement beau et c’est ce qui manque au cinéma de nos jours où tout est aseptisé, où toutes les filles sont jolies et parlent doucement… Ici, Asia Argento et Amira Casar sont sublimes mais c’est une beauté profonde, dure, presque âpre. Les réalisateurs qui choisissent ces femmes sont rares. Tony est rare dans ce qu’il fait, dans sa manière de réaliser et de proposer ses films. Il te donne le scénario et te dit que tu n’es pas obligée de le suivre et que tu peux juste le sentir. Tu ne peux pas faire son film sans faire confiance au personnage. On suit son instinct et on ne réfléchit pas.
Tu te sens à l’aise dans l’improvisation ?
Très, mais c’est extrêmement rare. Gatlif te dit que si tu as envie de sauter, tu sautes. Que si tu as envie de courir, tu cours. Son chef opérateur Patrick Ghiringhelli te suit partout. Ce sont des passionnés de l’instant ! Mais la plupart du temps on te dit de te tenir debout au niveau d’une marque au sol, de dire ta phrase et au moment où quelqu’un dit «vélo» tu vas t’asseoir… Il faut trouver son espace de liberté dans la contrainte et il n’y a que les gens de talent qui y parviennent comme Dewaere, Depardieu ou Miou Miou à l’époque. Un peu comme Sara Forestier aujourd’hui avec sa liberté, son instinct et son je-m’en-foutisme. Elle est superbe. D’ailleurs elle est belle parce qu’elle ne se dit pas « il faut que je sois belle ». Elle a dépassé la plus grande difficulté des actrices d’aujourd’hui.
Si je fais une scène dans un film où je dois être en soutien-gorge je me demande si c’est pertinent ou si c’est juste pour voir mes seins. Je n’ai pas de problème avec la nudité mais qu’est-ce que ça raconte ?
Nailia Harzoune
En tant que femme tu te poses aussi la question de la manière dont tu es filmée…
Il faut lire un scénario avec son instinct et ses émotions tout en gardant ces aspects plus politiques à l’esprit. La manière dont le corps de la femme est sexualisé, comment une actrice l’utilise et peut se montrer nue dans les films… Si je fais une scène dans un film où je dois être en soutien-gorge je me demande si c’est pertinent ou si c’est juste pour voir mes seins. Je n’ai pas de problème avec la nudité mais qu’est-ce que ça raconte ? J’ai souvent l’impression que dans les films, on montre les hommes de manière à ce qu’on tombe amoureuse. La façon dont un homme tient son verre, la façon dont son regard se pose… Un personnage comme Romain Duris dans De battre mon coeur s’est arrêté d’Audiard… Les femmes sont avant tout filmées sous
le prisme de la chair tandis que les hommes nous donnent envie d’être avec eux. On dit que ça change mais je ne vois pas trop de changements pour être honnête. Si ça se trouve, ce n’est pas le problème de filmer les femmes et de les sexualiser, mais plutôt qu’on ne le fasse jamais avec les hommes. Il n’y a pas de réalisateurs ou de réalisatrices qui filment les hommes comme Kechiche filme les femmes…
Tu as récemment réalisé ton premier court-métrage, qu’est-ce que ça raconte ?
Ça parle d’une rupture amoureuse. Du doute d’après et de la pression qui pèse sur nous. Il faut être sûre de soi, réussir socialement et sentimentalement… Il faut tout le temps que quelque chose se passe dans ta vie, que tu aies une raison de te lever le matin. Parfois tu es en lutte, la vie te teste et te met dans une posture d’échec. Une rupture bouleverse ton chemin et ton parcours de vie. Tu n’es pas tout à fait la même personne. Tu laisses une partie de toi à la personne que tu as aimée.
Tu es donc passée de l’autre côté de la caméra ?
Pas tout à fait car je joue également, mais j’ai adoré cette expérience. J’avais un peu de pression car je ne suis pas forcément légitime pour diriger des acteurs, je n’avais pas d’expérience. Suite à cette expérience,
je me suis interrogée sur le pouvoir que l’on donne aux hommes. Ce n’est jamais un sujet. Nous, on doit le prendre pour dire ce que l’on veut. Quand t’es un homme, le rapport d’autorité est en ta faveur.
Tu imagines prendre un tournant dans ta carrière ?
Il m’arrive d’être frustrée en tant que comédienne. De penser aux choses que je n’ai pas pu dire ou faire au cours d’un tournage. Je me pose énormément de questions car je suis actuellement dans un atelier de comédiens avec la coach Karine Nuris. Je vois des acteurs qui tournent beaucoup et d’autres qui ne travaillent pas. Participer à ces ateliers me permet de rester en phase avec la réalité du métier, et parfois je trouve qu’il n’y a aucune justice car il y a de très grands acteurs qu’on ne voit jamais. Par exemple, un des plus grands acteurs de sa génération c’est Sofian Khammes. Un acteur sublime qui a mis du temps à convaincre et à obtenir des rôles à la hauteur de son envergure. Il m’arrive d’être un peu fatiguée de voir autant de gens talentueux désillusionnés et de voir d’autres gens sans mystère ni imaginaire de comédien être à l’affiche de films.
Beaucoup d’acteurs sont désormais remarqués sur le tard, non?
Voilà encore une grande injustice faite aux femmes! Nous on a moins le droit de vieillir au cinéma.
Tu as remarqué qu’on a commencé ce repas par le dessert avec cette espèce de Snickers amélioré ?
La ganache au chocolat avec les cacahuètes et les boulettes de peanut butter, c’était juste dingue…
A lire dans le Mint#20