À 45 kilomètres au nord de Strasbourg, Soufflenheim est un concentré d’Alsace. Dans cette ville qui n’atteint pas (encore) les 5000 habitants, les poteries sont nombreuses. Parmi elles, celle d’Ernewein-Haas a pignon sur la Grand-rue depuis plusieurs siècles. Tenue par Jean-Louis et son fils Jonathan, elle est aujourd’hui la seule à produire des objets 100% façonnés à partir de l’argile locale. C’est pour cette raison qu’en 2018 Harmonie s’invite chez eux.
« Le courant est passé et je suis venue un mois en tant qu’ouvrière-potière. Naturellement ensuite, nous avons commencé à imaginer des modèles ensemble » détaille-t-elle. Alors encore étudiante à la Haute École des Arts du Rhin à Strasbourg, elle commence par observer, noter, dessiner. Ce qui compte pour elle, avant même de tâter la terre ; c’est de tâter le terrain. Comme elle l’explique, en faisant référence au stage qu’elle a effectué dans un atelier au Maroc quelques mois auparavant, à chaque territoire ses spécificités : « là-bas indépendamment de la qualité de la terre par exemple -une terre rouge très grasse- des techniques de cuisson, la poterie est étroitement liée à la condition des femmes qui sont parfois forcées de travailler et isolées. Ainsi, je n’aurais pas pu faire le même travail ou les mêmes objets là-bas qu’en Alsace qui offre de meilleures conditions. »
Harmonie veut aussi garder une forme de réalisme. Elle évoque son mémoire qui explore les liens entre designers et artisans : « certains designers ont une démarche qui ne prend pas en compte l’artisan. Son savoir-faire est comme exploité et son nom à peine évoqué. D’autres imaginent un objet ou un prototype qui met plusieurs jours à être réalisé mais qui finalement ne sera peu ou pas vendu, car trop farfelu, ne prenant pas suffisamment en compte les contraintes de coûts et de temps du potier… » Dès lors, pérennité devient son maître-mot.
Chez Ernewein-Haas, l’étudiante réalise « les bricolages d’Harmonie« , des poteries créatives ainsi nommées par Jean-Louis. Le soir, elle file chez Madeleine, légende gastronomique des alentours. L’ancienne cuisinière, dont la mère était réputée pour faire la meilleure choucroute poissonnière de la région, l’accueille dans son ancien restaurant et lui livre ses recettes.
Cuisine et poterie se répondent. Si les moules à Kouglof créés par Ernewein-Haas feront friser l’oeil des alsaciens ou autres fans de cette brioche emblématique (sans parler du Lämmele, l’agneau-biscuit de Pâques) ; pour la choucroute et autres mets, la cocotte est de mise. Ayant compris que ces dernières se créent à partir de modules, Harmonie produit plus modèles avec quelques variations, une anse s’ajoute à gauche ou à droite, ou disparaît, un bec verseur allonge la forme… Petite subtilité, alors que les poteries sont pour la plupart entièrement colorées à l’engobe puis décorées à la main, elle choisit de laisser parfois apparaitre le jaune de l’argile de Souffleinhem, soit la couleur initiale de la terre.
De cette collaboration, naît sa marque-projet À demain, Maurice ! dont le nom se joue du patronyme du William Morris, célèbre touche-à-tout anglais, architecte aussi bien que poète, connu surtout comme une figure du mouvement des Arts & Crafts.
À demain Maurice résonne comme une promesse lancée par Harmonie aux artisans qu’elle rencontrent. Désormais jeune professionnelle, elle travaille à multiplier les collaborations avec toujours une forte volonté d’associer sa créativité à des savoir-faire : « je vois le design comme un outil pour valoriser l’artisanat, ce dans une démarche collaborative. Je cherche à établir des liens durables. » Et de revenir cette année travailler à la Poterie qu’il l’a accueillie pour développer une collection de vaisselle à l’approche des fêtes.