Omnivores
En 2003, Luc Dubanchet créait le festival Omnivore, rassemblant des cuisiniers jeunes et inventifs, qui ont su donner une nouvelle voix à la gastronomie tirée à quatre épingles. Aux côtés de son ami Sébastien Demorand, ils sont les chefs d’orchestre de ce festival qui nous parle de la «jeune cuisine». La fougueuse, la rebelle, celle qui fait fi des convenances pour s’éloigner au mieux des tables étoilées. Nous avons souhaité faire un état des lieux de la cuisine d’aujourd’hui en mettant Omnivore à table.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On s’est rencontré en 1994 chez Europe 1.
Vous n’étiez même pas née quand on s’est rencontré Luc et moi !
Dis pas ça, ça fait vieux con ! A l’époque on bossait sur les actualités, ça n’avait rien à voir avec la cuisine. On était de jeunes journalistes, des pions dans une grande équipe.
C’était important ! D’ailleurs avec des pions tu peux gagner une partie d’échecs…
On a surtout commencé à bosser ensemble chez Gault & Millau de 1999 à 2001
Et c’est là qu’on est devenu amis !
A la vie à la mort ! On s’est barré tous les deux en 2001 et j’ai créé Omnivore en 2003 ; Sébastien est arrivé en 2007. Il était d’ailleurs présent pour la première édition au Havre.
Le rôle de Sébastien était déjà d’interviewer les chefs sur scène ?
C’était évident qu’il devait bosser sur scène. On avait plusieurs personnes qui s’en occupaient et il a viré tout le monde pour tout faire tout seul !
C’est très important de se sentir bien sur scène pour accompagner les chefs et partager des moments de cuisine, de culture… Plus de 2000 personnes payent pour les écouter et même si certains chefs sont dans l’improvisation, je suis garant de la richesse de l’échange. C’est très impressionnant de se mettre à nu, tu as les projecteurs dans la gueule, tu vois pas ce qu’il y a devant et pourtant tous les yeux sont rivés sur toi.
Sur scène, tu as une intimité à créer ; certains cuisiniers montrent une maîtrise totale et sont très organisés et pourtant il arrive que ça manque de spontanéité. On a vu de beaux moments, comme la fois ou le public a offert une ovation à Quique Dacosta et pendant toute sa démonstration, Sebastien n’a pas dit un mot. Il y a une dimension fragile dans ce spectacle : parfois la magie opère et l’émotion est palpable.
Considérez-vous Omnivore comme un dénicheur de talents ?
Il y a eu des chefs que personne ne connaissait et il y en aura encore cette année ! Il y a quelques années, on recevait David Chang et il n’était pas encore aussi connu. Il m’a dit «je déteste ce que je suis en train de devenir». Il est aujourd’hui dans une spirale incroyable mais nous, on l’a connu a ses débuts. Dans le fond on n’a pas besoin de reconnaissance, on fait le job et tant mieux pour eux.
Cette année on accueille les trois mecs australiens de Three Blue Ducks qui ne sont pas encore très connus. On a aussi des têtes d’affiche mais l’aspect défricheur est fondamental.
Omnivore a beaucoup grandi depuis sa première édition au Havre, qu’est ce qui a changé pour vous ?
Aujourd’hui on est à la Maison de la Mutualité ; c’était beaucoup plus trash et familial quand on a commencé. Je me souviens qu’à Deauville, on a envahi les cuisines d’un resto avec nos poissons, nos légumes et tout le monde travaillait côte-à-côte. C’était très familial ! Mais on est vite passé de 60 à 600 personnes et c’est devenu plus compliqué à organiser !
Quand Ben Shewry est monté sur scène à Deauville, il s’est passé un truc phénoménal. On a tous pleuré ! A Omnivore, chaque festivalier vient chercher sa propre cartographie et un bon festival sait mettre en exergue les moments magiques.
Aujourd’hui on est éclaté dans la grande ville avec l’Omnivorious et les Fucking dinners (ndlr : dîners à quatre mains exclusifs). C’est aussi parce que les chefs étrangers à Paris ont envie de sortir et de voir la ville. A Deauville, on a vu qu’un rayon de soleil en quatre ans ! On est tous réuni dans une ville pas franchement gaie – Deauville au mois de mars, c’est à se tirer une balle – donc forcément on se rassemble !
Si l’on faisait un état des lieux de ce qu’est la cuisine aujourd’hui, qu’auriez-vous à dire ?
On vit la période la plus excitante. Il n’y a pas un moment dans l’histoire de la gastronomie qui a connu autant d’énergie et de nouveauté. La nouvelle cuisine, c’était en France dans les années 70 alors qu’aujourd’hui la tendance est partout ! Il se passe toujours quelque chose, que tu sois à Sydney, au Brésil ou à San Francisco.
Et ça se sait instantanément !
Aujourd’hui les chefs ont une liberté qu’ils n’avaient pas avant et qui n’était pas possible en France il y a 15-20 ans.
Il y a aussi un intérêt accru pour la cuisine. La révolution, c’est ça : un renouveau par rapport à une évolution plutôt molle sur la décennie 90, du point de vue du rayonnement français.
C’est une émancipation pour les cuisiniers. D’ailleurs, il n’y a jamais eu autant d’échange entre ceux qui font et ceux qui mangent.
On est au début d’une phase importante pour la cuisine, une phase qui durera mais les choses se stabiliseront et on aura forcément besoin de faire un pas de côté pour faire le bilan. Cette époque de la cuisine a commencé récemment avec le Comptoir du Relais Saint-Germain et franchement avant Yves Camdeborde, on se faisait chier !
Quel est le rayonnement d’Omnivore à l’étranger ?
On est à Moscou, Montréal, Sydney, San Francisco, Shanghai et bientôt Istanbul ! En tant que festival on a des références comme les festivals de Sydney et Melbourne, les gens de San Sebastien ou Madrid Fusion qui ont tous apporté un regard nouveau.
D’ailleurs ils ont commencé avant la France. Chez Omnivore, on est singulier dans notre approche.
On est complémentaires des autres et on apporte notre sensibilité.
Quels étaient vos derniers coups de coeur ?
En ce moment, je vis un retour bourgeois, j’ai des envies de sauce, de jus… La cuisine ringarde un peu, mais j’ai une grande tendresse pour les ringards. J’aime bien le bistrot Belhara dans le 7è arrondissement. Hier, je suis allé dîner au 6036, un izakaya (ndlr : bar japonais), rue Jean-Pierre Timbaud et j’y ai trouvé une cuisine sincère, pétillante. Il n’y a pas vraiment de déco, la cuisinière va à l’essentiel et on y boit du vin nature qui fait ni mal à la tête, ni aux tripes.
Hier j’étais à Bloempot chez Florent Ladeyn qui a fait Top chef. J’ai mangé un cochon et choux de Bruxelles excellents ; la cuisson était parfaite. Tout était juste et à un prix raisonnable.
Comment la cuisine peut-elle être personnelle si de nombreux chefs avancent dans la même direction minimaliste ?
La cuisine va encore connaître un renouveau et s’éloigner de cette tendance scandinave. Ce que j’ai mangé hier chez Ladeyn n’avait rien à voir ; il tend plus vers une cuisine traditionnelle.
Il y a quelques années on a accueilli Kobe Desramaults d’In de Wulf et peu de gens le connaissaient. Sa cuisine est une expression personnelle qui fait que ce que tu manges chez lui est vraiment «à lui».
Pour finir, qu’est ce qui vous réjouit au printemps et en été ?
Les petits pois, la transition entre l’hiver et le printemps et les navarins.
Les femmes en jupes.